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Hiver 2019/20

 N°81
 
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08

Par Julius Deschamps

tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur Le vin nature

"Vous arrivez devant la nature avec des théories, la nature flanque tout par terre."
Pierre-Auguste Renoir


Les vins natures — ou naturels — ont connu un développement important depuis une petite dizaine d’années. Décriés voire ignorés par la grande majorité des buveurs de vin (par ignorance, par méfiance, ou simplement par « goût »), ils sont aujourd’hui menacés par les gros de la profession viticole, dite conventionnelle. D’une part car ils représenteraient, d’un point de vue réglementaire, une menace pour les grandes appellations classiques ; et d’autre part parce que les industriels commencent abusivement à en revendiquer sans rougir quelques hectolitres. Voici un mince éclairage pour ceux (nombreux) qui en auraient besoin.

Au commencement de la chose se trouvèrent quelques olibrius éparpillés aux quatre coins du pays de France des années 80 et qui, face à l’emprise grandissante de l’industrie agro-alimentaire sur le monde paysan — déguisée en symbole de ralliement à la cause nationale du productivisme et du progrès économique — comprirent rapidement sa gabegie et s’en détachèrent sans effort, quand d’autres n’y auraient tout simplement jamais pensé. Mais durant la grande reconstruction d’après-guerre, l’agriculture irraisonnée, dont l’équation magique progrès technique + chimie + subventions = rendements forts avait fait florès. Chez les viticulteurs, quelques affranchis qui ne tinrent pas compte de cette « grande évolution » se mirent à l’écart pour continuer à faire des vins qu’on appellerait bientôt naturels, sous le patronage de l’illustre Jules Chauvet, vigneron-biologiste du beaujolais et dégustateur hors-pair, dont les idées trouvèrent vite un écho chez certains vignerons que la dégénérescence n’avait pas touchés…
Voilà qui fut heureux, car « le vin, moins on le touche, mieux ça vaut », disait celui qui tenta non seulement de défendre le vin naturel en tant qu’expert scientifique, mais qui expliqua aussi très précisément comment le faire.


Un peu d’histoire, pour commencer…

Historiquement, les premiers mouvements pour un vin « naturel » remontent à plus loin encore, à l’aube du XXème siècle, lors de la grande crise du vignoble français (juste après l’épisode du phylloxéra). Il y eut les grandes grèves des ouvriers viticoles du Languedoc, en 1903, puis les vignerons du Midi Rouge rassemblés au nombre de 600000 à Montpellier au nom de la vertu de la conception du vin et pour l’interdiction de pratiques considérées par eux comme inconcevables : le mouillage (adjonction d’eau), la chaptalisation (sucrage) et le coupage (on mélange deux vins médiocres pour les « améliorer » respectivement)… Vive le vin naturel ! s’écriaient alors ces avant-coureurs. Plus tard, en 1924, avec « l’invention » de la biodynamie par l’autrichien Rudolf Steiner, une infime partie du monde viticole s’en inspira, mais on n’en entendra plus guère parler pendant des décennies : la machine industrielle et le modèle agro-alimentaire étaient lancés.
Puis, dans les années 80 donc, quelques vignerons commencèrent en toute discrétion à faire des vins non trafiqués, des vins tranquilles (au sens propre), des vins purs, des vins normaux en somme. Et personne alors n’aurait songé à en parler autour de soi, car l’époque n’était pas encore au militantisme forcené et à la communication généralisée. Le vin naturel n’avait pas d’existence manifeste et n’était recommandé par personne.

Des mots pour le dire clairement

Aujourd’hui, malgré son expansion commerciale, presque rien n’a changé de ce point de vue : aucune définition officielle n’en a été faite, et aucun cadre légal ne le décrit davantage. Peut-être faudrait-il commencer par se pencher sur la définition du vin tout court ? Ouvrons donc notre Littré, celui qui ne se trompe jamais, et cherchons-y la définition du mot vin : « une liqueur alcoolique résultant de la fermentation du jus de raisin, et servant de boisson ».
Bigre ! Il y aurait donc, en supplément à cette définition aussi ténue que magistrale, une espèce de corvée débilitante qui consisterait à élaborer du « vin » en faisant et en employant tout un tas d’autres choses inutiles ? Ce vin-là, amis lecteurs, n’est qu’un piètre succédané du vin véritable. Car pour faire ce sale vin, composé de toutes pièces, il y a, selon les modes de calculs, entre 70 et 400 produits et intrants différents autorisés… Dont, au milieu de toute cette quincaillerie imbécile, les fameuses levures de laboratoire essentielles au démarrage des fermentations (processus principal de la vinification) et rendues impossibles dans le cas, immensément majoritaire, d’absence de levures indigènes sur les baies au moment de la vendange.
Pourquoi ? Parce qu’un raisin issu d’un sol mort ne fermente pas. Pour en arriver-là, il a fallu que les raisins, anémiés par l’absence des nutriments que leurs racines ne trouvent plus dans les sols — soigneusement essorés avec le matériel phytosanitaire — se ravitaillent avec les produits de synthèse et autres engrais chimiques que l’on aura répandu tout autour. Tout un programme, à enseigner à qui veut bien l’entendre… et par le menu !


Gré Affiche vintage pour Souffre bouillie angrais

Un Littré, des litrons…

Littré nous donne donc une définition du vin qui semble correspondre d’emblée à celle qui devrait être faite du vin naturel. Naturel… ou censé l’être, car cette expression de « vin naturel » est une appellation par défaut, ou plutôt un défaut d’appellation. Car de vin naturel, il n’existe pas fondamentalement. Pas plus qu’il n’existe de « yaourts naturels » ou de « jambons naturels ». Le vin est artificiel : il est le résultat d’une méthode de fabrication qui en fait une solution organique fabriquée l’intermédiaire d’une fermentation contrôlée (qu’elle soit naturelle ou non…)
Pour essayer d’être plus juste, nous devrions sans doute employer l’expression « vin au naturel », comme pour tout aliment dit « au naturel », c’est-à-dire sans assaisonnement, sans ajout d’autres substances, sans artifices. Ce qui n’est pas le cas de l’immense majorité des vins produits en France (et dans le monde).
Mais allons plus avant dans notre propos : en quoi le vin dit naturel est-il différent des autres vins ? Quelles différences y a-t-il entre les vins « conventionnels », « raisonnés », « biologiques et/ou biodynamiques », et « naturels » ?
Commençons par la base, qui représente l’immense majorité des vins, et que nous désignerons comme les vins dits « conventionnels » : ce sont tous les vins, produits à grande échelle ou non, habituellement de manière industrielle mais parfois à l’échelle artisanale, mais qui sont fichus selon les ordonnances de l’agriculture moderne et de l’agrochimie.
À peine plus haut viennent les vins produits par la viticulture raisonnée, où la chimie reste systématique mais où elle intervient de manière on ne peut plus régulière, avec quelques ajustements en fonctions des éléments et/ou des événements. Arrivent enfin les vins biologiques, et même parfois biodynamiques, dont les raisins sont cultivés comme tels et où les techniques autorisées en cave sont plus limitées, voire très limitées en biodynamie. Enfin, parvenus au dernier niveau, nous arrivons chez ceux qui font du vin et rien d’autre : c’est là où se trouvent les vins que nous encourageons, ces singuliers vins naturels. Le seul intrant autorisé est le soufre, ou plus précisément le dioxyde de soufre (utilisé en viticulture depuis 1843). Il n’est cependant usité que dans des proportions minimes (ordinairement au moment de la mise en bouteille) qui ne sont quasiment pas assimilables par le corps humain. Et puis, c’est le fin du fin, il y a les vins où le soufre est totalement absent. Il n’y en a aucune trace autre que celle que le vin produit naturellement (c’est d’ailleurs pourquoi la mention « contient des sulfites » apparaît sur les étiquettes des vins naturels, ce qui permet à quelques-uns de ses ennemis d’en rajouter des caisses sur l’impossibilité de faire un vin naturel.) C’est là le bout du chemin, l’aboutissement total de la chose. Peu encore s’y adonnent totalement, car sans une grande maîtrise, les risques, tant hygiéniques que qualitatifs, peuvent être relativement importants. Citons le cas d’Alain Maître, vigneron-magicien du pays de l’Auxois, dont la minuscule production annuelle de chardonnay se fait au détriment de toute combine : après le pressurage, on entonne sur lies avant la fermentation, et on laisse faire jusqu’à ce soit prêt. Et c’est TOUT. (Et c’est vrai.)

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Pas de potion magique

Il est du reste amusant de constater que parmi les plus grands domaines de la sacro-sainte Bourgogne, un nombre non négligeable travaille en culture biologique et/ou biodynamique, et conçoit ses vins assez simplement.
On peut par ailleurs tout à faire conduire ses vignes de manière biologique ou biodynamique (c’est assez simple avec un minimum de bon sens et d’organisation), sans ensuite s’embarrasser à vinifier sa récolte naturellement. Mais à part chez les industriels du bio, les cas sont rares…
Et dans les cas particuliers les plus remarquables, le dénoue­ment de cette progression vers le naturel amène à la confection d’un vin qui n’est rien d’autre que du vin, soit du pur jus de raisin fermenté. Ceux-ci ne sont donc pas manipulés (ou si peu), les moûts ne subissent aucune rectification, aucune autre matière ou substance que ce que la récolte a fourni n’est incluse lors de la vinification et pendant l’élevage. Et, à l’embouteillage, il n’y a pas non plus d’ajout de soufre. C’est là le bout du chemin, l’aboutissement de la chose. Peu encore s’y adonnent totalement, car sans une parfaite maîtrise et un contrôle absolu des températures et des fermentations notamment (ce sont là les « limites » du vin naturel qui n’a rien d’un produit spontané), les risques, tant hygiéniques que gustatifs, peuvent être relativement importants. Mais c’est justement dans cette prise de risque que le vin naturel s’exprime le plus : lorsqu’on a appris à les (re)connaître, ses défauts — qui n’apparaissent quasiment jamais dans les vins conventionnels — possèdent pour certains un côté désagréable, voire rédhibitoire, mais sont aussi tolérés par ceux qui y voient le côté « vivant » du vin (sauf cas extrêmes.) Les vins naturels ne sont donc pas une potion magique, et les ratés sont encore nombreux et aisément compréhensibles. Mais quand la réussite est au rendez-vous, il n’est plus de comparaison possible avec les vins conventionnels, formatés par l’industrie et l’oenologie. Et contrairement à l’une des idées reçues sur le vin naturel, la garde est non seulement possible, mais parfois vivement conseillée (sauf pour les blancs qui s’oxydent plus aisément, le millésime étant ici un facteur souvent déterminant.) Un problème cependant : les faibles stocks qui ne permettent guère de garder les vins très longtemps.

In Vino Veritas

Terminons enfin (car il faut bien finir, et s’il est admis que parler donne soif, écrire n’est pas différent) en évoquant la création du Syndicat de Défense des Vins Naturels, actée en novembre dernier lors du salon Sous Les Pavés, La Vigne à Lyon. Celui-ci établit que le vin naturel doit être fabriqué uniquement à partir de raisins issus d’une agriculture biologique « engagée et garantie », vendangés à la main, puis vinifiés à partir des levures indigènes, sans ajout d’intrants (sauf une toute petite dose de soufre éventuelle) ni emploi de techniques barbares, et que les vins ainsi obtenus ne doivent pas être filtrés. Chaque membre ayant signé cet engagement obtient de facto le droit d’apposer sur ses bouteilles un logo « vin naturel ».
L’argent des cotisations versées par les adhérents servira à effectuer chaque année des contrôles, afin de vérifier l’absence des substances interdites à la vigne et aux chais. Reste à convaincre ceux, nombreux et faciles à comprendre, qui se refusent à toute labellisation, aussi noble d’esprit soit-elle. Il y a malgré cela encore tout à faire pour opposer une fin de non-recevoir aux industriels opportunistes qui, sans surprise, ont commencé à commercialiser abusivement des vins portant les mentions sans soufre ou nature.
Revenons-en à Jules Chauvet, dont l’autorité et les préceptes (c’est amusant) n’ont jamais été discutés du côté des conventionnels et des industriels, ceci pour une simple raison : c’était un scientifique. Et laissons lui donc la dernière parole : « Après avoir montré comment la plasticité du vin constitue l’un des facteurs majeurs de l’appréciation de sa qualité, nous voudrions établir un pont entre la mystérieuse architecture interne du vin et le mystérieux pouvoir de notre organisme et de notre esprit de la révéler.
Transmutation troublante puisque l’homme transforme presque instantanément une matière liquide d’apparence inerte en éléments immatériels dont se nourrit sa pensée. C’est dans ce cadre spirituel que le vin doit être considéré comme vivant. » ■


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