automne 2012
N°52Humeur de comptoir
Jean Maisonnave
Le bar à vins, trop souvent, c’est du baratin. Un peu de vin pour faire du vent. Il faut dire que l’invention en est récente et la définition plutôt brumeuse. On ne saurait s’y aventurer sans s’y perdre.
Une sorte de séduisant bâtard entre la cave (du caviste) et le restaurant ; un petit frère mondain du bistrot ; un cousin de plus en plus éloigné du populaire café, de la modeste buvette et plus encore de l’original cabaret auquel on doit pourtant, le saviez-vous, l’usage du bouchon. Nul grimoire n’en fait état. Et si on osait dire au monumental Gérault Rongier, le pape du genre (le Vin des rues à Paris) qu’il faisait bar à vins, il posait la bouteille et l’entonnoir - il achetait presque tout en fûts - pour nous en retourner une, ce qui altérait le pot-au-feu. Ici même, je connais d’estimables tenanciers qui préfèrent se proclamer cavistes ou buvetiers, quitte à risquer de répudier le néophyte, le touriste, ou le sémillant kéké (1).
On doit ajouter que le bar à vins se porte bien et que, s’il se porte bien, c’est qu’il élargit la clientèle, singulièrement la clientèle féminine qui y accède plus volontiers qu’aux antres jadis plus ou moins réservés, comme les tavernes, aux mâles libations. Surtout, soyons justes, il existe désormais en cette ville un choix assez étonnant de bars à vins plus ou moins authentiques, alors que nous déplorions ici-même, il y a à peine deux ans, leur absence aussi radicale qu’inquiétante. Ne boudons pas, globalement, notre plaisir ;
d’autant que s’y ajoute celui de faire pièce aux Beaunois, phénomène délectable depuis Piron, qui remet en outre Dijon, non à sa place, mais à son rang. Ainsi en est-il des bâtards historiques : ils compensent la carence identitaire par une vigueur et un allant qui finissent assez souvent par les rendre indispensables. On voit ça dans Shakespeare.
La question reste pourtant celle-ci : il ne faudrait pas, qu’à l’instar des bistrots, le genre à son tour s’abâtardisse pour capoter dans l’insignifiance, le tout-venant ou l’opération commerciale. Surtout en cette région, n’est-ce pas, où les enjeux sont multiples. Il ne suffit pas d’alléguer une vingtaine de références et un quarteron de génériques au verre pour se déclarer bar à vins. En toute hypothèse, le bar à vins n’est pas un bar comme les autres parce que le vin n’est pas une boisson comme une autre, et qui ne saurait s’accompagner de nourritures négligeables, même simplement expédiées. Nous y reviendrons, au solide. Quant au liquide, je dirai qu’au-delà de toute définition, se revendiquer bar à vins c’est se donner un devoir de dégustation, c’est à dire de découverte, et, consécutivement, d’un petit bonheur pédagogique. Tel est le message profond du vin, et c’est un message culturel, humaniste, qui exclut au premier chef tout sectarisme. Un bar à vins exclusivement bourguignon, consécutivement, ne justifie pas son enseigne. Un de mes meilleurs souvenirs de Bourgogne blanc, je le dois à un bar à vins d’Aix-en-Provence, et j’ai découvert dernièrement à Dijon un Fronton (vin rouge de la région toulousaine, en net progrès) attendrissant. On pourrait - on devrait - multiplier ces exemples à l’infini. Il n’y a qu’en Bordelais, et hélas en Bourgogne - moins souvent, heureusement - qu’on paraît ne pas comprendre que révéler les variétés, les singularités, les grandeurs des terroirs et des vignerons, c’est aussi servir sa propre cause et l’universalité singulière du vin.
La connaissance. Telle doit être à mon sens l’ambition minimale d’un bar à vins, “dans un contexte quelque peu inflationnel” comme dit ma petite chienne Nini, à qui je laisse la responsabilité de ses déclarations.
J. Maisonnave
(1) Pas de Bobos dans le monde de Jean, ça l’énerve, il préfère les Kékés. On dit ça pour ceux qui seraient un peu jeunes pour saisir les nuances…