Automne hiver 2011
N°48Par Gérard Bouchu, avec la complicité de nombreux habitants et commerçants qui préfèrent rester anonymes (pas fous !)
C’est encore une ville sens dessus-dessous que les Dijonnais vont retrouver à leur retour des vacances de la Toussaint. Pour la dernière fois. Les barrières de travaux ont commencé de tomber, la terre de recouvrir le bitume… Le gazon va bientôt pousser autour des rails. Au gré des travaux du tram, les rues changent de sens, les carrefours s’inversent, les sens interdits se dérobent. Une ville où tous les possibles sont présents. Mais quels possibles ?
On attend de ce tram une révolution. Des rues inanimées vont vivre, des rues passantes, trop passantes, vont devenir piétonnes, l’exode matinal des automobilistes arrivant des banlieues pour travailler à Dijon va cesser de créer des cohortes de véhicules aux abords de la ville. Les immeubles nouvellement construits ou en germe, avec leurs nouvelles places et leurs rues « vertes », seront desservis par ce « ver »
luisant mécanique tellement à la mode et synonyme, ou presque, de transport écologique.
On attend... et ces espoirs font supporter la poussière, le bruit, la lenteur de la circulation actuelle. Comme aurait dit Chirac (ou du moins sa marionnette) lorsqu’il faisait encore le Guignol sur Canal + : « Putain… encore un an ! »
Une fois sur les rails, le visiteur découvrira certainement une ville heureuse de se voir si belle dans ce nouveau miroir. Mais la vieille cité des ducs, celle des princes puis des maires qui ont bâti le Dijon ancien conservera tout son mystère… et sa sérénité. Un bien ou un mal, selon la tranche d’âge à laquelle on appartient.
« Dijon-city » peut-elle éviter de devenir cette ville pour étudiants ou personnes âgées que certains stigmatisent, ayant du fuir avec leurs enfants vers une banlieue plus accueillante, plus conviviale, moins chère aussi ? Les panneaux annonçant des travaux dans les hôtels particuliers comme dans les maisons moins nobles du centre annoncent-elles le retour des familles élargies ? On peut l’espérer. Faudra d’abord régler les problèmes de stationnement, aumenter les voies cyclables et les trottoirs pour les poussettes. Sans parler de celui des loyers ou des ventes aux particuliers (voir plus loin : Parole d’expert)
Il y a des emplacements en or qui vont se libérer, certains petits propriétaires craignant de ne plus pouvoir faire face aux travaux nécessités par les mises aux normes nécessaires (basse consommation, lutte anti-bruit). Il serait dommage de laisser la place libre aux seuls vendeurs de sommeil, qui ont fait des appartements d’autrefois des logements pour étudiants qui n’incitent certainement pas ceux-ci à rester chez eux.
Il n’y a pas que l’arrivée d’un tram qui fasse changer la vie au quotidien, dans certains quartiers, mais il peut aider à faire passer les crises de croissance. Des rues de la soif peuvent devenir arides du jour au lendemain, des rues passantes vont redevenir des rues de quartier où il fera bon vivre. C’est déjà le cas rue Jeannin, ce sera demain celui de la rue d’Auxonne, de la rue Berbisey ou de la rue Jean-Jacques.
On trouve déjà normal de ne plus trouver que des restos autour du marché, le quartier des antiquaires est déjà rebaptisé « design quartier », la rue des Godrans est déjà revisitée jour et nuit par ceux qui se voient déjà descendre du tram station Saint-Bernard…
On rêve devant les dessins représentant une ville douce à vivre, verte et rose à la fois, avec des terrasses, des trams silencieux contournant la République pour s’envoler vers le Zénith. Silencieux ? Les riverains des grands boulevards, qui attendent déjà de prendre l’automne prochain le soleil sur leur balcon, risquent d’être horripilés par les bruits du tram, une fois le flux des voitures stoppé.
Le problème de la circulation ne sera pas réglé pour autant avec la fin des gros travaux. Si « l’argent du tram » a permis de définir de nouvelles voies aux abords des travaux, les rues aux alentours voient déjà certains habitants et commerçants au bord de la crise de nerf, le flux nouveau n’étant plus régulé, et les stationnements se faisant anarchiques. Un « escargot » a failli créer un bouchon, cet été, tant ce visiteur étranger dont la rougeur n’était pas due qu’aux coups de soleil n’en pouvait plus, coincé qu’il était avec sa caravane, rue Lamonnoye entre deux files de voitures stationnées n’importe comment. Il est parti à Beaune, direct, alors qu’il avait trouvé un hôtel près la mairie. Il m’a regardé avec des gros yeux, il a consulté sa femme, et il a fui…
Avec la fin des travaux, on attend une régulation des stationnements. Autour de la place de la République, les voitures ventouse continuent de narguer ceux qui tentent désespérément de trouver une place pour stationner dans le centre « élargi », terme qu’on va devoir utiliser pour qualifier le Dijon que le tram redessine. Ce nouveau centre encore difficile à cerner n’aura plus rien à voir avec l’hyper-centre boudé par cette voie de transport plus sociale que touristique.
Le centre-ville va échapper à son cercle fermé pour s’ouvrir sur des quartiers où même le parcours de la Chouette n’allait pas jusqu’alors. Je me souviens d’une réflexion d’un conseiller du maire parlant des quartiers Jean-Jacques et Jeannin comme de quartiers n’appartenant pas au centre ancien. Le parcours du tram aura le mérite de raccrocher les wagons, de faire du quartier de l’auditorium et de la place de la République la continuation tout en douceur du centre ancien, tout comme le Consortium et la rue d’Auxonne donneront demain une autre vision d’entrée de la ville.
Faudra par contre faire preuve d’imagination, rue de la Lib et aux alentours, quand les piétons auront conquis le pavé, pour recréer de la vie là où il n’y a plus que du passage. Les grandes rues d’hier ne sont pas forcément celles qui auront la cote demain, on l’a vu à Lyon avec la rue de la République, qui ne vit à plein que près des sorties de métro.
Ceux qui pestaient il y a 20 ans contre les rues piétonnes les attendent comme du pain béni aujourd’hui, alors qu’il serait plus judicieux de repenser l’équilibre des forces, les rues piétonnes devenant dangereuses la nuit faute de surveillance. Le débat est lancé…
Le centre-ville nouveau qui se dessine appartient à tout le monde, commerçants, clients, résidents, artistes et créateurs, badauds, touristes, le champ du possible est infini et les initiatives de chacun auront peut-être un impact plus important que les politiques de la ville qui ne visaient jusqu’alors qu’à nous faire prendre une seule voie... celle du rail !