Mars 2009
N°38
Rien de très nouveau, sinon une tradition qui a tendance à s’améliorer. Ce n’est pas rien.
Jurés :
[1]Jean-Paul Sanson « Le Guide à Max » (le vrai…)
[2] Jean-Paul Thibert Cuisinier et routard
[3] Patrick Gevrey Charcutier et motard (de Dijon)
[4] Eric Cordelet Restaurateur (« Chez Léon »)
[5] Jean Maisonnave Perturbateur à Bing Bang
A l’origine du jambon persillé, il y a le « jambon de Pâques », d’où l’opportunité de ce banc d’essai. En hiver, on tuait le cochon – qu’en certains lieux on nommait « le monsieur », c’est dire son importance – on en salait une bonne partie, dont les jambons et les épaules, qu’on ressortait après le carême pour fêter la fin des privations, le renouvellement du temps, des récoltes, et tout. Le persillé est donc un jambon demi-sel cuit au bouillon à l’aligoté et serti, en morceaux maintenant, dans une farce légèrement vinaigrée et sous une gelée persillée. Cuisson très lente avec pieds de veaux (et pas de porc !) pour la gelée, voilà pour l’essentiel. Après, chacun ses trucs, mais j’ai trouvé assez peu de variantes en fait, sinon que certains y mettent de l’ail, alors que d’autres ne veulent pas en entendre parler.
La ville de Dijon a pu revendiquer la paternité du persillé. Elle pousse un peu : je n’en ai pas trouvé mention dans la cuisine de Cour. C’est en fait un jambon de tradition fermière que peuvent tout autant revendiquer le Morvan, qui y passait ses petits jambons, que la Saône et Loire, qui fut de tout temps une terre d’élection du persil. On trouvera même des jambons persillés dans quelques régions du nord de la Loire. Mais ce qui distingue la Bourgogne, c’est qu’on mélange à la cuisse de porc de l’épaule, parfois du jarret, mais surtout de l’épaule. Stricto sensu, ça n’a plus rien à voir avec un jambon, mais si vous voulez mon avis, c’est meilleur.
Voilà pour l’histoire. Pour le présent, nous avons testé douze jambons du commerce et un intrus. Pour une fois, pas de coup de théâtre, l’artisanat domine, sans qu’on puisse répudier tout à fait la grande distribution. Sauf erreur de notre part, en deux cas elle fait appel à de petites entreprises locales. Le jambon persillé a besoin de la main de l’homme.
Ce banc d’essai a eu lieu le mardi 17 février au restaurant « Chez Léon », rue des Godrans à Dijon. Les échantillons avaient été achetés le lundi après-midi et le mardi matin à tous les étages de la distribution, mais avec une prépondérance donnée à l’artisanat local, pour deux raisons majeures : il s’agit d’une spécialité du crû et les grandes surfaces sont très généralement fournies par des fabricants régionaux. Dégustation anonyme, aveugle et silencieuse, avec du pain, en guise de césure. Après délibération, les notes sur 20, se sont ainsi décomposées :
aspect sur 6, olfaction sur 4, goût sur 10. On notera le coefficient élevé accordé à la présentation, facteur sélectif important. Comme d’habitude, nous avons mêlé à la dégustation un intrus : un persillé de restauration, hors commerce.
Je fus avisé en cours de rédaction que « Le Bien Public » avait sorti un « banc d’essai » semblable. Je ne voudrais pas qu’on pense que nous avons pompé. Ni eux d’ailleurs, c’est une coïncidence. D’autant que si l’intitulé est le même, l’esprit est différent. De notre côté une approche analytique et consumériste, de l’autre un reportage photographique avec des textes assez succulents. Et l’on voit que sans concertation, les résultats sont identiques : les premiers sont exactement les mêmes. Ce qui prouve que ces bancs d’essais ne sont pas sans intérêt puisque peuvent y converger les avis d’un jury de professionnels et d’un jury d’amateurs.
Origine |
Commentaires |
Prix |
Note sur 100 |
Classement |
MITANCHEY |
Classé en tête par 5 jurés sur 5. Rien à ajouter : parfaite conformité à l’appellation, fraîcheur dominante, et saveur élégante, bouffée ni par le persil, ni par l’ail. |
18 € 80 |
81 |
1er |
CHEZ GUY |
Aspect hors charte, façon ballotine, chair effeuillée, farce très verte, parfaite fraîcheur. Un juré salue « la fraîcheur herbacée » de la gelée. |
Hors commerce | 76 |
2ème |
AVE 2000 |
Vendu également avec label - classé dans la moyenne par 4 jurés sur 5, et premier par le 5ème. Belle odeur de persil, mais trop d’ail, fraîcheur même si 2 jurés déplorent « une odeur piquante ». | 15 € 95 | 66 |
3ème |
LA FINE FOURCHETTE |
Acidité légère, qui donne de la fraîcheur et du relief à une viande plutôt fade (3 jurés) mais l’élégance du bouillon est saluée par 2 jurés, alors qu’un autre regrette les morceaux d’ail. | 19 € 80 | 63 |
4ème |
CHENU |
Très rose nitrite, garniture fine, pas trop marquée par l’ail. Chair fraîche, texture souple, très représentatif de l’appellation ; sans autre relief. | 18 € 30 | 62 |
5ème |
GOURMET TRAITEUR |
Belle saveur fraîche de porc - mais pénalisé par un fort goût de carottes saisies. Bouillon puissant, sucrosité préjudiciable, qui déséquilibre un beau produit ?! | 29 € 97 | 61 |
6ème |
INTERMARCHÉ |
Texture très serrée, à laquelle 3 jurés reprochent son élasticité. Gagnerait à plus de cuisson, quitte à perdre du rose, mais la garniture et l’assaisonnement rattrapent le coup. | 12 € 10 | 59 |
7ème |
RENOT ALHOUITRE |
Aspect engageant, même si trop farci. Bien calibré, odeur délicate, mais régresse au goût : fadeur pour trois jurés. | 15 € 10 | 56 |
8ème |
POITREY TRAITEUR |
Belle saveur de viande, mais fortement pénalisé par l’aspect ; beaucoup trop de farce (fond de cuve ?). « Ça fait cher le kilo de couenne » note un juré ». Et gros morceaux, un peu secs. | 18 € 90 | 52 |
9ème |
CARREFOUR (« Label ») |
Vendu sous l’intitulé « Label ». En tête de dégustation, d’où phénomène classique : manque de sel. On y revient à la fin : l’impression s’estompe. Produit honorable, pénalisé par un aspect assez terne. | 15 € | 46 |
10ème |
SUPER U |
Trop d’acide pour deux jurés, et gelée artificielle. Morceaux gros, manque de moellosité au centre, nez trop alliacé. | 10 € 90 | 45 |
11ème |
LECLERC |
Produit correct, pénalisé par un aspect pas gai : assez sec, et quand même, un peu gris. Depuis longtemps à la coupe ? | 13 € 20 | 43 |
12ème |
LEADER PRICE |
Fadeur de la chair, malgré un vinaigre sensible, pas bien élégant. Présentation médiocre, pâle, garniture très alliacée, goût de déshydraté. | 11 € 45 | 40 |
13ème |
Logique respectée : les artisans arrivent massivement en tête, et seul un produit de grande surface obtient la moyenne, encore s’agit-il d’un produit fabriqué dans l’agglomération, par un professionnel qui pourrait arrêter de risquer son nom dans le discount (le dernier de notre pannel).
Le second (du commerce) est une supérette très spécialisée : bon résultat. Le produit est bien fabriqué. Mais la mention « Label » - comme pour le produit Carrefour – nous paraît très ambiguë : qu’est ce qui est labellisé ? Le porc ? La recette ? La gelée ?
Deux petites déceptions. « Les Gourmets », d’abord. Le Bernard Palissy des traiteurs locaux, souvent extra et coûteux (c’est d’assez loin le jambon le plus cher), s’est planté ici avec son court bouillon de carottes. Et Poitrey, plombé par le visuel, vaut mieux que ça.
Au-delà des péripéties, ce qu’on peut retenir, c’est que les « dés » de viande, dont la dimension n’est pas fixée, ne gagnent rien à être gros, ça engendre la sécheresse. On peut se souvenir qu’à la haute époque, il fallait pouvoir défaire le jambon à la fourchette. Et surtout, il faut bien admettre que contrairement à ce que pensent beaucoup de consommateurs, ce qu’il y a de meilleur dans le jambon, c’est encore l’épaule. Paradoxe ? Pas vraiment. Si Contour gardait le jambon entier pour en affirmer l’identité, les pros et les mamies savent bien que cette spécialité est Bourguignonne surtout parce qu’on y met de l’épaule, pour en atténuer la sécheresse. C’est moins prestigieux, mais plus savoureux.
Enfin, méfiez vous : certains lascars, y compris en restaurant, ne se privent pas de fourguer dans le jambon des vieux talons. Découpés, redistribués entre les couches, ils feront, si j’ose dire, la farce. Nous avons cru en déceler un exemple dans notre sélection, mais c’est difficile d’être sûr.