67
Magazine Dijon

Été 2016

 N°67
 
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par Pierre CUIN

Sur les pas des Culs bleus


Le vrai portrait de la ville de Dijon

Qui, flânant dans les rues de notre belle cité, ne s’est jamais imaginé dans les habits d’un duc ou en robe de courtisane ? Qui, traversant la cour de Bar, n’a jamais humé l’odeur d’un bon banquet ? Qui, enfin, eut la berlue en apercevant le téméraire petit Charles faire coucou à son père du haut de sa Tour ? Arrêtons de rêvasser et allons revêtir hardiment nos tuniques et nos braies, celles des dijonnais d’antan ! Celles des gueux, des culs-terreux ou des culs bleus. Culs bleus, c’est ce drôle de nom que l’on donnait aux vignerons de Dijon, qui représentent pas moins d’un quart de la population sous l’Ancien Régime. « Une classe turbulente, toujours à la pointe du combat politique et des revendications » raconte J-F. Bazin dans son Histoire du vin de Bourgogne. Ca nous ressemble davantage, non ?

En 1574, Edouard Bredin dessine le premier vrai portrait de la ville de Dijon (notre plan). Et le constat, sous nos yeux, est édifiant : des vignes, des vignes et encore des vignes. 1500 hectares de nectar des dieux entourent les remparts. Les vignes du Clos du Roi, des Champs Perdrix, des Marcs d’Or, les Valendons, les Montre-Cul, les Violettes, les Pisse Vin, les Echaillons, les Gremeaux ou encore Les Chartreux. Il y a aussi les domaines de la Cras, Talant, Fontaine, Daix, Plombière, Messigny, Asnières, Saint-Appolinaire, Ahuy, les vignes de Porte Neuve, de Saint-Jacques, de Mirande, des Poussots, des Lentillères, de la Chèvre… Et j’en passe ! Tant de noms de cette « Côte dijonnaise » qui n’existe plus ou presque mais qui naguère rayonnait. L’arrivée du chemin de fer en 1851, l’épidémie de phylloxera en 1878 et l’urbanisation galopante ont eu raison de nos vignobles. Fondus comme neige au soleil, en 1900, on n’en compte plus que 50 hectares. Aujourd’hui, le Grand Dijon conserve comme un trésor les 8 hectares survivants de l’excellent domaine de la Cras.

A l’époque, les Ducs de Bourgogne sont les meilleurs promoteurs de notre breuvage. Philippe Le Hardi (1342-1404) en tête, impose par édit le noble et fin Pinot noir en lieu et place du populaire Gamay, de médiocre qualité. Faut dire qu’en plus des banquets organisés au Palais des Ducs [1] dans l’actuelle salle des tombeaux du musée des Beaux-Arts (notez cette bonne exposition aux archives municipales « A la table des Ducs de Bourgogne », visible jusqu’au 10 juillet prochain), le bourgogne (surtout en rouge) sert de monnaie d’échange. >>>
Des tapisseries et des draperies contre des tonneaux, le commerce avec la Flandre du Sud (ou la Bourgogne du Nord, c’est selon) bat son plein.
Pour la cause diplomatique aussi, le précieux liquide vaut de l’or. Ainsi, lors du siège de Dijon par des suisses belliqueux (et oui ils l’ont été un jour !) en 1513, les prières à l’église Notre-Dame [2] du peuple dijonnais apeuré sont exaucées grâce à une rançon colossale, dont quantité de vin, versée par le Duc Louis II de La Trémoille (ici on dit La Trémouille), gouverneur de la ville. Moins visible que la Chouette, remarquez, en levant le nez, la gargouille n°49 sur l’église. Un vigneron pose avec une belle grappe.

A quelques pas de là, sur la place du sculpteur François Rude, hommage est rendu par le marteau, cette fois de Noël-Jules Girard, à un jeune Bareuzai [3] qui s’exhibe fièrement. Les « bas rosés » portés par les vendangeurs rappellent, vous le saviez sans doute déjà, la couleur des jambes après le piétinement du raisin dans les cuves.

Nos Culs bleus travaillent aussi à partir de la fin du XVème siècle pour la noblesse de robe – composée de riches parlementaires anoblis - dans les pressoirs installés au sein même de leurs hôtels particuliers. A l’instar du somptueux Hôtel de Vogüé [4]. Ces nouveaux nobles, issus du Parlement et de la Chambre des comptes et à la recherche de signes ostentatoires de puissance, rachètent une grande partie des domaines viticoles du Clergé.

Le Clergé, parlons-en, et ses fameux moines cisterciens, viticulteurs hors pair, qui sur leur chemin entre les Abbayes de Clairvaux et de Cîteaux font un break régulier au Cellier de Clairvaux [5], construit en 1135 et dont ils se servent comme grange viticole. Les moines détiennent au moyen-âge et jusqu’à la révolution, de nombreuses terres en Côte de Beaune et Côte de Nuits, mais aussi du côté de Chablis et de Chalon-sur-Saône. C’est en grande partie, grâce à leur savoir-faire, que les Climats de Bourgogne sont inscrits aujourd’hui (on fête les 1 an ce 4 juillet à Dijon !) au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

Mais continuons la balade des Culs bleus avec la place Saint-Jean, actuelle place Bossuet [6], où se tient le marché au vin, dit Marché de l’Étape. Lieu incontournable où se côtoient vignerons, tonneliers, cabaretiers, hôteliers, marchands de vin et vinaigriers.

A deux pas, se trouve l’église Saint-Philibert [7], la paroisse des vignerons. A ses côtés, majestueuse, la cathédrale Saint-Bénigne est, elle, réservée à la noblesse. En 2012, on y a quand même célébré (démocratiquement) la messe de la Saint-Vincent Tournante. C’est donc à Saint-Philibert que les culs bleus viennent prier pour que la récolte soit bonne. C’est sur son parvis aussi que l’on se présente comme journalier pour les vendanges. Là où sont désignés les Vigniers, véritables gardes champêtres des vignes. Là enfin où le Vicomte Maïeur (le maire de Dijon) est élu. C’est ici aussi qu’éclate en février 1630 la fameuse et brève Révolte des Lanturlus. Nos Culs bleus, furieux de l’instauration par Richelieu de nouvelles taxes sur le vin et de l’introduction d’élus royaux, défilent dans les rues de la ville. Ils reprennent en cœur un refrain sur l’air du Lanturelu. « Lanturelu. Ce mot au langage vulgaire veut dire allez-vous faire faire. Je ne saurais honnêtement vous l’expliquer plus clairement. » (1)
1. Paul Scarron dans son Virgile Travesti

■ Pierre CUIN

Un grand merci à Nicole Barbier de l’Office de Tourisme de Dijon, pour son inspirante visite « Dijon, terre des vins de Bourgogne ».


 
 

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