Juillet Août Septembre 2010
N°43Eva Nosiam
pour nous les femmes. Enfin, pas toutes. Chez nous, il n’y a pas que des blondes, il y a aussi les supportrices. Des pintades mimétiques qui se peinturlurent la hure, endossent des maillots bariolés et braillent avec un enthousiasme qu’on croyait réservé, jusqu’à des temps récents, à leurs éructants conjoints, lesquels ne portent jamais si bien leur nom qu’en ces circonstances d’érection nationale.
Quant au foot, pardonnez-moi, mais sans être foncièrement antisportive, j’estime que cette discipline manque cruellement de dignité. D’abord parce qu’elle ne se pratique, en principe, qu’avec les pieds. Ensuite parce qu’elle est de toute évidence totalement assujettie au pognon, avec tout ce que cela comporte de perversions, de faux semblants, de prévarications, de bassesses. Comme « école sociale », excusez, on peut faire mieux. Cela dit, je ne partage pas la sévérité de certains. Comment s’étonner que des mômes, sélectionnés dès l’enfance pour leur aptitude à la baballe et consécutivement voués à une décisive inculture, puissent ultérieurement claquer leur argent à s’acheter des 4x4 chromés et des putes platinées. Il paraît que ça fait rêver, que les gosses s’identifient… justement, dis-je, à quoi ? C’est ça qui me laisse rêveuse.
J’ajoute que d’un point de vue plus féminin, je ne vois pas comment on peut s’identifier à des gladiateurs qui se tortillent au moindre choc comme des fusilis toxicomanes avec des grimaces de masques kabukis, ou qui s’empilent au moindre but comme des bouses extasiées.
Passons. Le gros intérêt de cette coupe du monde, pour nous, c’est que c’est la libération de la femme. On peut planter nos gros devant la télé, on les incite même à inviter leurs copains, on est prêtes à leur fournir le maillot, le carton de pizza (voir plus loin), le pack de cannettes ; on y ajoute même une bouteille de Pernod afin qu’ils n’aient plus à se lever que pour aller aux toilettes (à la mi-temps) et on sort entre nanas.
Le monde est beau pendant les matchs. Les rues sont plus sûres, certains restos font des prix spéciaux, certains cinés aussi, on en profite, on va au musée et comme il reste plein de place aux terrasses, on sirote des guignolets en parlant d’autre chose que de gloire ridicule et d’idoles sponsorisées. On ne perçoit rien des clameurs inquiétantes. On ne sait rien de la consternation qui suit les penalties. Et peut-être même qu’on va rencontrer l’Homme. Rescapé des décervelants pilonnages médiatiques. Comme il n’aura pas de 4x4, il m’emportera sur le cadre de son vélo. On jouera à l’extérieur. Sûrement jusqu’aux prolongations, voire jusqu’aux tirs au but ; je ne vois rien là qui puisse effrayer. On est même prêts à rejouer le match, on gagnera toujours tous les deux. Et d’ailleurs, on n’en a strictement rien à foot : on leur laisse la coupe, on a juste besoin de nos lèvres.