Début 2012
N°49"Je veux rester hors compétition" ! On a obéi à Mâme Gautier, notre épicière préférée de la rue Jean-Jacques, à qui on avait demandé une tourte pour le test des pages suivantes. Un test réservé exclusivement aux tourtes du marché, achetées sous les halles. Le jury l’avait classé première, mais bon...
Il y a tourte et tourte. L’une était une variété de pigeon aujourd’hui disparue, dont la postérité ne figure plus guère que dans la tourterelle ou, plaisamment, chez les tourtereaux. Il s’en trouve pour prétendre que l’autre tourte, celle qui se mange, devrait son étymologie a cet oiseau de passage ; autrement dit, au pâté de tourte. Rions ensemble, voulez-vous, de ces historiens fourvoyés. Même si la tourte de tourte est une possible redondance, la première, celle qui nous intéresse ici doit son nom au latin et au fait qu’elle est ronde. Ce qui règle une fois pour toutes la vieille question de savoir quelle est la différence entre la tourte et le pâté. La tourte est un pâté rond, un point c’est tout. Rond et couvert. La tourte est ronde et fermée, à l’exception d’un petit trou au sommet pour que s’échappent les vapeurs et les effluves qui tant illuminèrent les dimanches chez grand mère.
Son origine est très ancienne, Apicius l’évoque déjà. Les Romains y mettaient du paon, voire du pluvier avec les plumes autour, ce qui était assurément plus décoratif que gastronomique. En fait, l’origine de la tourte, on peut la trouver dans la cuisine à l’étouffée : le ou les produits sont cuits à l’intérieur d’une croûte de pâte, ainsi qu’on fit avec l’argile et la croûte de sel (d’où l’expression "casser la croûte"). Laquelle croûte, prétendent d’aucuns, n’était pas consommée. Idée pénible à l’amateur et à l’enfant, lesquels savent qu’une croûte imprégnée de principes aromatiques, mais croustillante à la surface, ne saurait être jetée que par les aristos décadents ou les béotiens de toutes conditions.
Toujours est-il que la tourte, à l’instar des pâtés et de la fouace, restera un produit boulanger jusqu’au XIVe siècle. Après, ce seront les pâtissiers qui en récupéreront le privilège, on voit ça dans "Cyrano de Bergerac". Puisqu’on a la place, on notera en incidente que le Moyen-Age consommait surtout des tourtes aux fruits secs ou confits, sucrées salées, en évitant d’y incorporer des produits périssables. Pourquoi ça ? Parce que la pâte, brisée donc, servait en quelque sorte de boîte de conserve ou de garde-manger. Génie profond des peuples que la nécessité pousse à l’invention.
Bon. Cela dit, le principe de la tourte - laquelle, contrairement à la tarte ou au chausson italien, se développe plutôt en hauteur, jusqu’à six niveaux - est qu’on peut y mettre à peu près n’importe quoi, viandes, poissons, légumes, fromages, fruits. Parfois tout à la fois, la tourte est accueillante, étagée et favorable à la mixité, un peu comme la HLM.
Pour se convaincre de sa polyvalence, il suffit de constater qu’on la rencontre à peu près partout et que les recettes en sont assez innombrables, de la tourte parmesane à la tielle sétoise, de la tourte à la choucroute alsacienne à la tourtière québecquoise, de la berrichonne aux pommes de terre à la flamande au maroilles, en passant pas la brionnaise au fromage, la normande à la pomme et je pourrais continuer longtemps si le téléphone ne venait à sonner dans la pièce à côté…
(la suite dans le banc d’essai, et non le ban, on en reparlera une autre fois, de celui-là !)
La tourte façon Billoux, c’est du grand art, pas possible de vous donner la recette, faut aller la manger chez eux. Farce de veau, volaille, gibier, lièvre ? "On met ce qu’on a, et c’est du bon". Le père (JP), le fils (Alexi) et le saint-esprit (Roland Surdol) ne sont d’accord que sur un point, lancé en guise de plaisanterie : " pas de gelée Maggi"