Décembre 2009 Janvier Février 2010
N°41Ce n’est pas pour les attaquer plume au vent que nous avons foncé sur ces moulins, au contraire : on peut y rencontrer de vrais idéalistes. Pas des philosophes, des cuisiniers qui font espérer en l’avenir de la vraie cuisine. Ce qui fait de bonnes raisons d’y convier votre barbier ou votre dulcinée, Mais tant qu’à faire du blé, il importe de séparer le bon grain de l’ivraie. Et de ce simple point de vue, Don Quichotte est loin d’avoir terminé le boulot… JM
On peut faire à la fois du classicisme et de l’expérimentation. Jean-Pierre Gillot, il y a longtemps que je voulais vous en parler, pour plusieurs raisons. La première c’est justement la maîtrise ; il peut vous sortir un tempura de foie gras techniquement improbable, une bouchée aux huîtres, des pommes de terre en rouleau ou une sphérification à la Adria et ressusciter tout aussi bien une quenelle de brochet digne de Bocuse. Un jour, j’y ai emmené Christian Millau ; Gillot nous glisse entre deux audaces un petit bout de coq au vin jaune des plus orthodoxes. Millau rouspète : on n’a rien demandé ; il finit par goûter. On ne l’a plus entendu, c’était tout bonnement le meilleur coq au vin jaune de notre vie. Gillot a appris le métier à la dure, au mas de Baumanière en Provence. Il sait tout faire mais il est trop discret, presque trop sérieux, il ne cherche pas à amuser le monde, ni le tapis. A cent mètres de l’autoroute, à la porte de la côte chalonnaise (splendide cave de Pierrette), voilà certainement la maison qui offre l’un des, sinon le, meilleurs rapports qualité-prix de Bourgogne ; et dans un moulin au décor de moulin.
Tél. 03-85-48-12-98. Menus : 30 - 42 - 54 - 68 €
Joli village, Bouilland. Les pierres, les fumées qui montent, le ruisseau et tout ça. Sur le ruisseau,on trouve « l’Auberge du Vieux Moulin » qui a beaucoup fait pour le renom du village ; Heriot, Silva… ce fut toujours une grande table. Dernier propriétaire, un Suisse délicieusement frappé, au point de faire douter qu’il le soit, Suisse. Je n’y étais jamais retourné, j’ai honte ; ça reste une grande table. Rien d’étonnant, le cuisinier a travaillé chez Bras, chez Henriroux à Vienne, entres autres, et à New-York. Le jeune homme a la classe, c’est beau le talent, ne perdons pas des gens pareils, même s’ils ne font pas de verrines. Ici, la carte est si courte et le talent si évident que j’ai failli tout goûter. Retenons seulement, faute de place, les saint-jacques saisies dans un bouillon aux agrumes, une volaille aux trois cuissons sur une sauce albuféra, un lièvre à la royale revu en virtuose et un dessert génial, avec du chocolat blanc et du wasabi (moutarde japonaise), choses a priori incompatibles, que d’ordinaire je déteste. Voilà à quoi sert la gastronomie : à révéler, à réveiller. Cuisine lumineuse, décor lumineux, cave énorme en bourgognes, très pointue ailleurs, de l’Alsace à la Ribeira del Duero. Toujours en retard de trois ans, Michelin a retiré un macaron, ne vous y fiez pas et courez-y…
Tél. 03-80-21-51-16. Menus : 28 € (sem.) - 39 - 59 - 75 €
Si on aime les moulins, celui-ci a une bonne gueule d’atmosphère. L’hiver, on mange au coincoin de la cheminée. Je dis coincoin parce que le vrai héros de l’endroit est le canard. Les humoristes apprécieront. Si on n’aime pas le canard, on risque de tomber sur un bec, il n’y a que ça : canard et dessert. Et un fromage blanc bien bon ; « c’est parce qu’il est fait avec du lait de canard » affirme le fils de la maison. Les humoristes apprécieront. Le canard est le demi-dieu de la famille. S’agissant de leur élevage, ils ont un peu tendance à idéaliser ; s’agissant des autres, ils résistent difficilement à la tentation de cancaner. Ça fait un peu naïf, ce n’est pas grave, c’est un effet de la passion. Le plus important est que les produits sont excellents et la cuisine de la soeurette simple et bien faite. Magnifique terrine de foie gras avec une pointe fine d’alcool ; plantureuses rillettes ; magret séché puissant, cuisse confite pas du tout sèche, comme c’est souvent le cas. Et des magrets servis entiers, il faut se mettre à deux pour les attaquer. L’ensemble constitue une formidable célébration du canard gras (gavé), sauf la carte des vins qui est, elle, squelettique. Les prix n’étant pas bien gros non plus, on ne va pas pour autant bouder son plaisir.
Aubigny-en-Plaine – Tel. 03-80-20-98-40. Menu : 28 €. Carte : 40 €
Nul grimoire n’atteste la présence en ces lieux d’un moulin. Surtout à vent. N’empêche : pour être de fantaisie, celui-ci n’en est pas moins joli, médiéval et colombagé au point de figurer sur les cartes postales. Peut-être le plus bel emplacement touristique, à Dijon, pour un restaurant ; dominant le Bareuzai qui pisse au milieu de la place. Laissons le bougre continuer en disant seulement qu’il y a des images dans lesquelles on ne devrait jamais entrer. Et en ne retenant d’une triple expérience qu’un coq au vin correct, malgré les patates en sachet, ainsi que quelques honnêtes producteurs sur une carte des vins en voie d’extinction. Le reste est d’une telle homogénéité qu’on en reste incrédule. « Si tu laisses plier les verges de la justice, que ce soit seulement sous le poids de la miséricorde » écrivait Cervantès, un homme qui s’y connaissait comme personne en moulins. Souhaitons aux touristes la même mansuétude, faute de quoi l’image de Dijon pourrait se voir écornée.
Dijon, place François Rude - Tél. 03-80-30-81-43. Menus : 12 - 15 €.