Printemps 2018
N°74Les Français adorent les commémorations, et les Bourguignons ne sont pas en reste. Cette année, c’est l’Auxois qui se retrouve sous le feu des projecteurs, puisque l’on s’apprête à fêter les 900 ans de l’abbaye de Fontenay, les 250 ans de la Grande Forge de Buffon, ainsi que les 400 ans de la naissance de Bussy-Rabutin. Cette terre confidentielle – l’Auxois - a été ainsi au fil des siècles le berceau de trois destins exceptionnels, incarnés par un abbé de légende, saint Bernard, fondateur de l’abbaye de Fontenay il y a 900 ans, par un écrivain haut en couleurs, proche de Louis XIV, qui connut au fil de sa vie mouvementée gloire et disgrâce, à savoir le comte Roger de Bussy-Rabutin, né il y a 400 ans, et enfin par un scientifique et chef d’industrie en avance sur son temps, Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon. La religion, les lettres et la science : tout le passé glorieux de notre vieux pays est ainsi symboliquement résumé. Les Côte-d’Oriens de l’Auxois se devaient de célébrer le génie de trois de ses plus célèbres enfants, lequel forme l’essence même de cet hommage nommé #EPIQUESEPOQUES.
Que je me confesse : je n’apprécie pas trop Bernard de Clairvaux, le saint le plus célèbre de la Côte-d’Or, né en 1090 ou 1091 à Fontaine-lès-Dijon, et décédé en 1153 à l’abbaye de Clairvaux. Sa lutte au XIIe siècle avec un autre grand Bourguignon, l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable le fait apparaître pour ce qu’il est vraiment : un conservateur qui fait feu de tout bois contre les changements sociétaux apparus à son époque, en laquelle d’aucuns ont vu une renaissance, marquée notamment par une profonde transformation de l’économie, de la société et du pouvoir politique. Il a, de plus, prêché la seconde croisade en 1146 à Vézelay, qui s’est achevée par un désastre, et a pris une part non négligeable dans la transformation de la lutte contre les Cathares, faisant de celle-ci une « guerre sainte », qui aboutit à l’éradication totale des membres de cette soi-disant hérésie au début du siècle suivant. Mais il faut reconnaître qu’il est au moins un domaine où le futur saint fut grand, et c’est celui de l’architecture. Au contraire des Clunisiens, qui entendent célébrer la puissance divine dans le faste et la grandeur, Bernard veut que l’église abbatiale soit épurée, et dépouillée de tout ornement – images et sculptures sont absentes de son projet. L’exemple superbe de Fontenay, abbaye fondée en 1118, est toujours là pour nous prouver que Bernard avait vu juste, ou tout du moins avait génialement épuisé toutes les possibilités de l’antithèse qu’il proposait au luxe clunisien. Précisons que le site est la plus ancienne abbaye cistercienne conservée au monde. Bernard fut canonisé dès 1174.
Tout oppose le comte Roger de Bussy-Rabutin à Bernard de Clairvaux. Celui-ci fit carrière dans les armes – il remplissait les fonctions de lieutenant-général des armées de Louis XIV -, et il était par ailleurs écrivain, philosophe et libertin. Rien d’austère donc chez le comte bourguignon, né en 1618 à Saint-Emiland, au château d’Epiry, et mort en 1693 à Autun, deux localités saône-et-loiriennes. La carrière militaire du comte décollait, il multipliait les exploits militaires et les conquêtes amoureuses, lorsqu’il eut l’idée dangereuse de rédiger un roman satirique, « l’Histoire amoureuse des Gaules » - qui a bien vieilli, d’ailleurs – joyeux pamphlet satirique dénonçant les frasques de la noblesse à la cour de Louis XIV. Malheureusement pour lui, il fut bientôt accusé d’avoir dans cet écrit souillé la réputation de la belle-sœur du roi, Henriette d’Angleterre. Louis XIV, fâché, fit embastiller notre homme le 17 avril 1665. Il avait pourtant été élu membre de l’Académie française la même année. Désormais, rien ne va plus pour Bussy-Rabutin. Il est écarté de l’armée et exilé en son château de Bussy-le-Grand, où il passe dans les regrets et l’amertume les dix-sept dernières années de sa vie. Pour tromper l’ennui, il écrit ses mémoires et entreprend d’embellir ses demeures, notamment celle qui accueille son exil. Château autour duquel se cristallise la mémoire de son célèbre propriétaire. Classé monument historique dès 1862, le bâtiment est labellisé « Maison des illustres ».
Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, est un personnage central de l’Histoire de France. Né en 1707 à Montbard et mort à Paris en 1788, la liste de ses talents est impressionnante : tour à tour naturaliste, mathématicien, biologiste, cosmologiste, philosophe et écrivain, il est un digne représentant de cette « Europe des Lumières » sur les conquêtes de laquelle nous vivons encore aujourd’hui. C’est le champion des futures « sciences appliquées », débarrassées de toute leur antique pesanteur métaphysique et il ne fait pas de doute que le lieu symbolique pour comprendre le mieux l’homme est sans conteste sa célèbre Grande Forge, située à Buffon, village proche de Montbard que baigne le canal de Bourgogne, et dont la construction débuta en 1768. Ce site peut être considéré comme une des premières usines intégrées : les lieux sont aménagés pour optimiser les étapes de la fabrication. Par ailleurs, des ouvriers sont logés sur le site, et ont accès à un potager, à une boulangerie et à une chapelle. L’accès au haut-fourneau se fait par un escalier monumental, qui permettait aux invités de marque d’admirer les coulées de métal en fusion. La forge produisait des ferronneries et des rampes d’escaliers et était avant tout son laboratoire, c’est là qu’il étudiait, pour la Marine, l’amélioration des canons, et, pour lui-même, les effets de la chaleur obscure, les phénomènes de refroidissement et les résultats de ses recherches alimenteront son œuvre scientifique, notamment au sujet de la création et de l’âge de la terre. ■
■ 26 mai : Grande soirée spéciale #EPIQUESEPOQUES, soirée concert et projection du film « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois dans le cadre du dortoir des moines de l’abbaye.
■ 19 juillet : Concert sous la direction de William Christie (à confirmer). Le grand claveciniste, chef d’orchestre, musicologue et enseignant William Christie est l’artisan de l’une des plus remarquables aventures musicales de ces 30 dernières années.
■ 28 avril, 19 mai, 23 juin et 1er septembre : Saison musicale du château, par Artie’s. Pour célébrer les 400 ans du comte, les musiciens d’Artie’s explorent les œuvres des grands d’Europe qui furent de passage à Versailles, ou du moins s’en inspirèrent. Rameau, Purcell, Vivaldi, Telemann : quatre légendes pour quatre concerts exceptionnels.
■ 19 mai -16 septembre : Expositions des Correspondances. Dans chaque pièce du château, sont présentés et décryptés des écrits et des correspondances du comte Roger de Bussy-Rabutin, mais aussi des reliques et des tableaux exceptionnels. Un aperçu unique du château et de la vie de Bussy.
■ 4 mai : Conférence sur le thème de l’hydraulique. Voici l’occasion de présenter ce site précurseur de l’industrie du XVIIIe siècle, tout en lançant un appel au mécénat pour sa sauvegarde et en inaugurant l’exposition « Du XVIIIe siècle à nos jours, réutilisation d’un patrimoine industriel et sa sauvegarde ».
■ 26 mai : Opération peinture à l’ocre. Une journée de travaux manuels ayant pour but de donner un coup de frais aux portes et ouvertures de la forge, qui avaient déjà reçu une couche d’ocre rouge et d’hématite de la Puisaye en 2011. Pour bénévoles participants.
■ 21 juillet : Soirée animations et cinéma en plein air à la Grande Forge. Le quatuor Cosmo et le comédien Gilles Taillefer présentent « Correspondances : musique et théâtre au siècle de Buffon », une œuvre qui mêle quatre instruments avec leurs couleurs, leurs puissances et leurs richesses, et un récit tourné sur le chemin croisé et les œuvres de Haydn, Mozart et Beethoven. La soirée se termine avec la projection en plein air du film « Le Peuple migrateur » de Jacques Perrin. ■
Renseignements www.epiquesepoques.com