été 2015
N°63On ne sait pas trop où situer l’homme. Est-il aventurier, marin, soldat, explorateur, ou bien encore écrivain ? Eh bien, il est tout cela, et avec talent. Pour notre part, nous retiendrons l’homme de plume, qui vient de se voir décerner le prix Goncourt de la nouvelle avec son dernier ouvrage, « Première personne du singulier ».
À lire sa biographie, on croit rêver. Quel est cet homme qui s’est lancé à la conquête de la forêt amazonienne, a bien cru ne jamais revenir des pièges tendus par les marais du Congo, s’est battu armes à la main à côté des rebelles afghans, a été embastillé dans les geôles pakistanaises, a failli mourir en mer, plusieurs fois, englouti corps et biens dans cette immensité qu’il ne cherche pas à dominer, mais avec laquelle il aime à se mesurer afin de toucher du doigt ses propres limites, les éprouver.
De ses aventures, on connaît surtout celles qu’il vécut en tant que capitaine de la Boudeuse, réplique du navire qui emporta au XVIIIe siècle, Louis Antoine de Bougainville à la conquête du monde. Il y en eut d’autres qu’on se lasserait vite d’évoquer, tant elles furent nombreuses.
De fait, Patrice Franceschi, Corse d’origine – il faut bien naître quelque part, dès lors pourquoi pas sur une île – a quitté sa terre d’origine avec une seule ambition : devenir un homme libre. Il y est parvenu. Il en sait le prix : dans un numéro du Monde magazine (du 8 août 2010) il avoue :
« Je suis ce qu’on appelle un irrégulier, un homme libre. Quand vous êtes cela, vous vivez dangereusement, vous n’êtes protégé par rien (…) Je n’ai pas de retraite, et je m’en fous. La sécurité, c’est le contraire de l’aventure ».
Mais venons-en aux livres. Patrice Franceschi en a publié une bonne quinzaine. Le dernier en date a été remarqué par le jury du Goncourt de la nouvelle, qui l’a couronné.
J’aime les livres qui m’éloignent. De moi-même, des autres, si connus au fil du temps que même parfois la simple amitié me pèse. J’ai le goût de l’ailleurs, je voudrais connaître d’autres rivages, d’autres humanités. Je sais qu’il s’agit peut-être là d’un leurre, d’une figure fascinante et traîtresse de l’Absolu. Mais qu’importe le but, ce qui compte c’est la quête, infiniment rude et dangereuse, en son essence. Et voilà bien la motivation que vise Patrice Franceschi : la fascination de la transcendance, du « grand large » - comprenez le dépassement de soi-même -, à laquelle tout homme bien né ne peut s’empêcher de succomber, dans tous les sens du terme ; mais qu’importe le danger, la punition encourue, c’est la noblesse du chemin à parcourir qui seule le justifie.
C’est de cette quête que témoignent les héros de « Première personne du singulier ». Le livre comporte quatre nouvelles : la première conte l’histoire d’un capitaine amoureux fou de la mer, qui se trouvera placé devant un cruel dilemme ; la seconde nous parle d’un jeune sous-lieutenant qui, pendant la Grande Guerre, connaîtra une mort glorieuse mais anonyme ; la troisième évoque l’étrange histoire de l’idéaliste lieutenant Walls. Quant à la dernière, elle évoque le destin de deux résistants placés devant un choix ultime.
Toutes ces aventures sont vécues « à la première personne du singulier », comme l’indique le titre de l’ouvrage. Ainsi, Patrice Franceschi a réinventé la tragédie. Les jurés du prix Goncourt de la nouvelle ont apprécié l’idée et la manière. Et ils ont eu raison.
■ ATP