Printemps 2018
N°74Elles s’étaient regroupées au sein d’associations pas tristes où on buvait sec, on en retrouvait partout en France, sauf peut-être à Lyon, une ville où on célébrait pourtant le culte des mères (la Mère Brazier, etc). Mais c’était dans les années 80-90, avant que Bocuse n’impose les hommes non pas en cuisine, mais au dehors. Grâce à Monsieur Paul, beaucoup de ces fils pas toujours spirituels sont sortis de l’ombre, ou plutôt de la chaleur du fourneau, pour se montrer sur les plateaux télé ou donner des cours de cuisine en Asie. Bocuse, qui ne manquait pas d’humour, avait fini par se demander, ces dernières années, s’il ne les avait pas un peu trop sorti justement, certains ayant du mal à retrouver le piano autrement que pour une photo.
Lyon célèbre justement ce mois-ci l’ouverture de l’Hôtel-Dieu, de ses cours, de ses boutiques, qui préfigure dans un an celle de la première Cité de la Gastronomie. Pas trace d’une femme au milieu de tous les chefs lyonnais. La seule figure que l’on voit s’afficher partout est celle d’Anne-Sophie Pic, qui prête son nom à une chaîne de… sushi.
À Dijon, heureuse surprise, les femmes en cuisine ne manquent pas. Toutes menues, toutes gracieuses, aurait-on envie d’écrire, en se demandant si ça ne pourrait pas être mal compris. Ben oui, on est loin des mères lyonnaises, qui avaient un sacré tour de taille.
Et elles au moins ne parlent plus de Michelin, comme certains chefs qui nous gonflent avec ce guide, parce qu’ils veulent plus l’étoile, parce qu’ils la rendent, parce qu’ils veulent qu’on leur redonne, parce qu’ils attendent une deuxième sinon ils vont se mettre en colère... Les femmes-piano qu’on a rencontré s’en foutent un peu. Même celles qui ont été étoilées. Comme Jocelyne Lotz-Choquart, qui nous avait offert un joli moment d’émotion gastronomique à Besançon.
Notre coup de cœur de ce début de printemps, c’est bien sûr Iza Guyot , l’ancienne étoilée qui a quitté Paris après avoir pas mal bourlingué pour se retrouver à Pagny-le-Château, dans un resto de village où l’on vient de loin pour se régaler à prix doux d’une cuisine vraiment épatante, alors qu’elle récuserait ce mot car il n’y a pas d’épate, chez elle, que du professionnalisme. Prenez un GPS pour y aller, plutôt que l’autoroute à la sortie de Beaune.
À Dijon, on a deux voisines qui jouent dans des cours différentes, même si elles ont une entrée commune sur la percée Lamonnoye. Céline Dédinger, formée à l’école Thomas Collomb, à la Rôtisserie du Chambertin, a repris les fournaux des « Cariatides », rue Chaudronnerie. Quant à Meriem, qu’on vous a présentée dans le dernier numéro, elle fait un carton au « Palais dit Vin » voisin.
Toutes les femmes croisées ces dernières semaines ne jouent pas dans la même catégorie, mais elles prônent toute une certaine simplicité, une envie de travailler au plus près du produit, selon le marché, la saison.
Nous ne pourrons pas toutes les citer, elles ne sont pas toutes visibles, certaines se cachent au fond d’une péniche ou dans les hauteurs d’une brasserie avec vue sur le palais des ducs, d’autres se sont associées pour redonner vie au « Chez Nous », près des Halles, ou pour ouvrir une table vegan qui est, pour Emilie, la vraie bonne surprise du moment. Et puis on peut toujours espérer trouver un coin de table à « La Petite Reine », en mettant « Un pied chez la Marinette » ou en poussant la porte de « La Causerie des Mondes »… Mais il y a d’autres adresses bien cachées où l’on pourra discuter en fin de service avec celle qui aura déjà passé des heures à préparer le plat du jour qu’elle aura mis à l’ardoise du « Bistingo ». Et on ne vous cite ici que les adresses proposant une cuisine française revisitée. Petites adresses du midi pour beaucoup, mais aussi belles adresses du soir pour d’autres, à vous de chercher - en pianotant sur internet - qui sont ces « femmes-piano » qui courent toujours après le temps, mais pas après l’étoile. ■ GB