78
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Printemps 2019

 N°78
 
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08

par Germain Arfeux

Meurtre sur le pont de Montereau Spécial polar

Nous sommes en 1419, il y a tout juste 600 ans. Après avoir multiplié les coups fourrés et les traîtrises, le duc d’alors, Jean sans Peur, n’a plus que quelques mois à vivre avant d’être assassiné le 10 septembre par un proche du futur roi de France. Il laissera à son fils Philippe le Bon le soin de le venger et de faire de la Bourgogne l’état le plus flamboyant de son temps. C’est à ce dernier qu’on doit le nouveau visage d’un palais qui disparut au gré des restaurations successives avant de réapparaître comme par magie au travers de la rénovation exemplaire du musée des Beaux-Arts. Retour en maux et en images sur une année charnière dans l’histoire des Ducs et de leur capitale.


Meurtre, trahisons, Brexit, banquet et fêtes au palais : un grand polar historique pour célébrer, 600 ans après, la fin du plus mal aimé des Ducs de Bourgogne et l’arrivée au pouvoir de Philippe le Bon

La ducale des jeux - Didier Bontemps

Jean sans Peur, le fils aîné de Philippe le Hardi, n’avait rien du caractère amène et généreux de son père. C’était tout au contraire un personnage cynique, retors, cruel, froid, calculateur, implacable… Physiquement même, Jean n’avait rien de la haute stature guerrière de Philippe. Il était petit, avec un teint hâve et une allure sombre. Tous les portraits que nous avons de lui nous montrent bien son regard perçant et son sourire cruel, son air glaçant.
Son père était devenu « le Hardi » à la bataille de Poitiers. Lui devint le « sans Peur » à la bataille de Nicopolis, où il guerroya contre les armées turques. Comme celle de Poitiers, cette bataille fut une terrible défaite, où Jean fut capturé et ne fut libéré qu’en échange d’une coûteuse rançon, mais par cet acte guerrier, il s’était forgé une solide réputation de courage et il acquit une popularité durable qui allait, toute sa vie, servir ses ambitions.
Et des ambitions, il n’en manquait certes pas. C’est carrément la France toute entière qu’il voulait diriger (à ses profits, évidemment). La période était propice à nourrir d’aussi vastes projets, car le royaume était alors ravagé par la Guerre de Cent Ans, les armées anglaises circulaient un peu partout, le pays était divisé, quant au roi Charles VI, il était pratiquement fou et parfaitement incapable de gouverner.

Un meurtrier qui ne se cache pas

Chacun était dans l’attente d’un homme fort, capable de sortir le royaume d’une telle panade. Paris était à conquérir ! C’est la raison pour laquelle Jean y vivait entouré d’une véritable armée et qu’il s’y fit construire un hôtel fortifié, dont la tour était alors la plus haute de la ville (visite toujours possible de nos jours).
Mais un homme empêchait la réalisation de ses projets : Louis d’Orléans, son cousin, qui avait placé ses alliés un peu partout dans l’administration royale et qui contrôlait de ce fait un véritable État dans l’État. Jean était aimé du peuple et soutenu par l’université, mais le noyau du pouvoir lui demeurait totalement inaccessible.
Alors, pour lever cet obstacle, Jean employa la manière forte. Le 23 novembre 1407, les hommes du duc de Bourgogne assassinèrent Louis d’Orléans en plein Paris, rue des Francs Bourgeois. Une fois le coup accompli, Jean ne se cacha même pas. Il avoua tout net, devant un conseil royal abasourdi, que c’était lui qui avait fait tuer le duc d’Orléans. Ses ennemis étaient décomposés, terrifiés par ce dangereux seigneur qui ne reculait devant aucun coup de force.

Armagnacs contre Bourguignons

Le pouvoir royal semblait désormais sous son contrôle, mais bientôt les problèmes commencèrent à s’accumuler. D’abord, une révolte éclata sur ses terres, à Liège, soutenue par le clan des Orléans. Il dut quitter Paris pour aller combattre les insurgés, à Othée, où il les déconfit promptement. Puis, une véritable guerre civile éclata en France, opposant les partisans du duc de Bourgogne aux partisans des Orléans, qu’on appelait les Armagnacs. Au sein même de chaque ville, le peuple, la bourgeoisie, la noblesse, tout le royaume se déchira entre factions rivales. >>>
Suite >>> Ce fut une guerre longue et sanglante, à peine entrecoupée par de courtes paix, toujours très tôt rompues… En 1415, le nouveau roi d’Angleterre, Henri V, profita de la confusion générale pour relancer la conquête de la France et en revendiquer le trône. Il débarqua avec toutes ses troupes en Normandie.
L’armée française se réunit pour lui livrer bataille, à Azincourt. Trois fois supérieure en nombre, elle fondit sur ces envahisseurs avec l’assurance de les vaincre facilement et de les renvoyer sur leur île, mais il pleuvait dru ce jour-là et la chevalerie s’enlisa dans une boue épaisse : elle fût décimée par une pluie de flèches meurtrières. Toute la fine fleur de la noblesse de France fut fauchée sur place. Les Anglais remportaient là une victoire décisive. Désormais, il faudrait compter avec eux.

Nos amis les Anglais !

Pour Jean sans Peur, cette invasion était une véritable aubaine. Tous ses principaux rivaux avaient été tués ou capturés au cours de la bataille. La Bourgogne, en outre, n’était pas l’ennemie de l’Angleterre avec qui elle entretenait de fructueuses relations commerciales, via la Flandre.
Cependant, Jean ne pouvait pas non plus s’allier directement avec le roi d’Angleterre, car l’alliance anglaise l’aurait empêché de prendre le contrôle du gouvernement royal. Il conclut donc un pacte secret, par lequel il laissait Henri V envahir la Normandie tandis que de son côté, il reprenait sans obstacle le pouvoir sur la France. Partout, il se présentait comme le champion de la réforme, l’homme de la situation, partout il promettait d’abolir les impôts et partout il était accueilli en héros par des foules enthousiastes. Sa marche finit par le conduire jusqu’à Paris, dont il reprit le contrôle.
Tout le pouvoir se concentrait désormais entre ses mains. Les Armagnacs étaient vaincus. Le roi avait achevé de perdre toute raison. Seul son fils, le dauphin, refusait d’accepter une telle situation et, dans son palais de Bourges, se préparait à réagir. Mais comme, il était isolé, en province, et que les Anglais avançaient leur armée vers Paris, il n’avait pas d’autres choix que de négocier avec l’impitoyable duc de Bourgogne. Il avait besoin de lui, pour repousser l’invasion britannique. Alors, il lui proposa une rencontre à Montereau. Pour parlementer…

1419 : le grand basculement

Le 10 septembre 1419, Jean sans Peur attendait le Dauphin Charles sur le pont fortifié qui protégeait la ville de Montereau. Il était confiant, comme toujours. À ses yeux, ce dauphin n’était qu’un faible qui devait certainement le craindre, comme tous les autres. Et puis, il était fils du roi, fils de son suzerain, par conséquent Jean lui accordait une confiance relative.
Cette confiance lui fut fatale. Jean sans Peur fut assassiné par Tanneguy du Châtel, sur ordre du dauphin, d’un coup d’épée dans le ventre.
Ainsi s’acheva par un meurtre la carrière de ce duc qui avait elle-même commencé par le meurtre. Le sang était retombé sur celui qui l’avait versé. L’épée qui servit à ce crime trône aujourd’hui encore dans l’église de Montereau. Les conséquences d’un tel acte seraient lourdes. Avec la malemort de Jean sans Peur, commença le règne de son fils, Philippe, dit le Bon, alors âgé de vingt-trois ans…
C’est à ce moment-là que l’année 1419 devint une année décisive dans l’histoire de la Bourgogne. Un basculement s’opéra. Ivre de colère, Philippe prit en effet la décision de se tourner contre la France.

Vers un état bourguignon autonome

Jusqu’alors, les ducs de Bourgogne, même s’ils avaient fondé un véritable État bourguignon, n’avaient pas cessé d’être des princes français. Philippe le Hardi avait été l’oncle du roi Charles VI. Jean sans Peur fut son cousin. L’essentiel de leur politique s’était joué à la cour du roi de France, en famille, où ils avaient naturellement tenu leur place. À partir de Philippe le Bon, il n’en fut plus de même. La Bourgogne cessa de se considérer comme française. L’année 1419 marqua une rupture. La Bourgogne rompait avec son passé français et décidait de se gouverner de manière autonome.
L’historien belge Henri Pirenne l’explique bien : Le meurtre de Montereau marque le point de départ d’une époque nouvelle. Désormais, ce n’est plus en France ni par la France, c’est hors de France et contre la France que la dynastie bourguignonne poursuivra l’accomplissement de ses desseins.
Pour bien marquer cette rupture, Philippe se décida à faire ce que son père n’avait jamais osé faire ouvertement : il s’allia aux Anglais. Il signa avec eux le traité de Troyes, qui stipulait qu’à la mort du roi Charles VI, c’est le roi d’Angleterre Henri V qui hériterait de la couronne de France, et non pas le soit-disant dauphin, qui était totalement écarté du trône, en raison de ses crimes énormes.
Pour l’Angleterre, c’était un éclatant succès. Henri V entra victorieusement dans la ville de Paris aux côtés de Charles VI et du duc de Bourgogne. En quelques jours, les armées anglo-bourguignonnes prirent Sens, puis Montereau, où le corps de Jean fut déterré pour être solennellement transporté en son tombeau, à la chartreuse de Champmol.
Philippe tenait sa vengeance. Le dauphin de France, lui, croupissait dans sa petite ville de Bourges, et ne régnait plus qu’illégitimement sur le sud de la Loire.

Qu’advint-il par la suite ?

Vous le saurez au prochain numéro.


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