Les jardins du souvenir
Pas très envie de parler de Marie au passé, elle qui a toujours été là, depuis le départ de ce mag, et même bien avant, pour parler jardin, ville, vie, livres, cuisine, rêveries...
Le confinement n’avait guère bouleversé sa vie et elle ne comprenait pas qu’on ne puisse se voir comme avant pour boire un café ou faire une balade jusqu’au parc de la Colombière.
Elle devait écrire ses mémoires d’avant, celles du temps de l’Algérie, j’imagine, celles aussi des années hippies, qui auraient risqué de surprendre ceux qui ne connaissaient d’elle que la femme menue, toujours bien habillée et coiffée, arrivée un jour à Dijon pour redonner vie à un secteur sauvegardé qui avait pris un coup de vieux, avant elle.
Elle avait aussi entrepris un ouvrage sur le bestiaire dijonnais, qui nous aurait appris à voir le Dijon qu’elle aimait autrement.
Femme libre, elle n’aimait pas les mails, les messages, les obligations. Elle aimait écrire, sur un bout de papier, des petits mots qu’on retrouvait sous les petits cadeaux qu’elle rapportait de ses voyages ou de ses balades en ville.
Elle m’accompagnait parfois quand j’avais à réactualiser un guide sur Venise ou Amsterdam ou un reportage à Capri. Je n’y connaissais rien en jardinage et mélangeais les noms des arbres, des plantes, mais à cause d’elle (ou grâce à elle) je me suis retrouvé à écrire sur les jardins pour un magazine parisien.
Son charme et ses compétences jouant, on s’était retrouvé à Saint-Pierre, au nord de la Martinique, invités dans une maison isolée au milieu d’un parc immense que le directeur des jardins de Balata, Jean Philippe Thoze, nous avait laissée. Un lieu fascinant, inquiétant même, une fois le dernier touriste parti.
Elle avait dessiné dans des cahiers les plantes, les maisons des esclaves, les gens, les plats à l’ancienne qu’une cuisinière avait remis à la mode. Ces cahiers ont été perdus, j’étais triste, pas elle. Elle ne regrettait rien. Nous, on la regrette, beaucoup...
■ Gérard Bouchu