Printemps 2013
N°54Eric Chariot
Trois médailles de bronze CNRS pour les chercheurs de l’Ub en 2012. Voilà 10 ans qu’on n’en avait plus une ! Alors, quels superpouvoirs ont donc ces jeunes scientifiques bourguignons ?
Yaël Grosjean, Arnaud Brayard, Bertrand Kibler
Chaque année, le CNRS distribue des médailles à ses chercheurs qui, chaque jour, percent les secrets de l’Univers avec leur vision clairvoyante… Pour la médaille d’or, on oublie. Elles sont réservées à des types aux cheveux longs et blancs, qui ont acquis dans leur carrière l’équivalent du niveau 46 de magie de Donjons et Dragons… Une sorte de Merlin, de Dumbeldore ou de Gandalf, un nobélisable quoi… Mais les médailles de bronze récompensent les jeunes chercheurs prometteurs, des Rookies, mais qui ont déjà publié des travaux importants dans de grandes revues, et qui sont proposés à la nomination par leur coach.
Alors, l’Ub fabrique-t-elle de ces jeunes talents héros aux superpouvoirs dans le secret des chambres à incubation, à coup de doses nucléaires, de manipulations génétiques ou d’exposition à des facteurs chimiques nocifs ou des rayons gamma ?
En vrai, cette récompense est aussi celle d’une équipe et les trois lauréats travaillent sur des sujets qui sont depuis longtemps des « spécialités » reconnues des labos de la fac. Et ce que l’on demande comme super-pouvoirs au jeunes chercheurs, c’est un peu d’être comme « Science Boy », le super-héros créé par Ross Geller enfant dans la Série Friends : une « surhumaine soif de connaissance »…
il cherche la petite bête… Son labo : Centre Européen des Sciences du goût
Son super pouvoir : le parfum qui les fait tomber comme des mouches
On ne va pas dire qu’il entube les mouches… Quoique techniquement, il les met dans des tubes pour comprendre leurs mœurs sexuelles. On ne va pas dire qu’il les attire avec du vinaigre… Quoique techniquement, c’est bien la « mouche du vinaigre » qu’il étudie… Il travaille sur les processus de séduction chez les drosophiles, ces petites bestioles qui vous agacent bien l’été. Un de ses articles, qui lui a valu la médaille, a été publié dans la prestigieuse revue Nature, un peu le Graal de tous les chercheurs. Il a découvert que, pour attirer les mâles, les femelles se parfumaient ! On savait déjà qu’elle produisait des phéromones, mais là c’est nouveau, elle ne la sécrète pas, elle en porte sur elle. Sa fragrance ? En fait, elle se vautre dans la pomme pourrie, là où elle pourrait pondre plus tard. Un peu comme si elle se pointait d’un ton racoleur : « Dis chéri, t’es pas si moche pour une mouche, t’as senti ? J’ai trouvé un coin pour crécher nos mioches… ça te dit une partie d’ailes en l’air ? ». Yaël a même trouvé le « nez » du monsieur mouche : sur ses antennes, un récepteur d’une certaine molécule que l’on retrouve dans la pomme ou dans le miel. Il a ainsi reconstruit le traitement de l’odeur jusqu’aux neurones du petit cerveau du droso… Prochaine étape : voir si un phénomène similaire se produit dans des organismes plus complexes. Prochaine cible : le moustique. Bzzz…
il traque les coquilles…
Son labo : Biogéosciences Son super pouvoir : l’extinction massive.
Vous voulez une vraie fin du monde ? Prenez celle du Permien-Trias il y a 250 millions d’années. Les terres s’ouvrent en Sibérie, libérant un flot continu de laves et gaz toxiques. 95 % des espèces marines et 70 % des espèces terrestres disparaissent ! Après ça, combien de temps met la vie à se relever ? En seulement 1 million d’années, 10 à 30 fois plus vite que prévu ! C’est le résultat inattendu publié par Arnaud et son équipe dans la revue Science, l’autre référence ! Pour en arriver là, il a classé les fossiles d’ammonites, sortes de calmars à coquilles, sept années durant, et compilé les résultats de recherches en paléo, en géolo, en éco-environo… Et chez vous, comment va la vie ? Ah ! Au fait, les scientifiques décrivent la situation actuelle comme la sixième extinction massive… Une sorte de « reset » de la biodiversité… Alors oui, la vie est explosive, elle se refait rapidement la cerise, mais faudra attendre quand même 1 million d’années… Dites, si on se sortait de notre coquille ?
il cherche la vague Son labo : Institut Carnot de Bourgogne
Son super pouvoir : l’onde scélérate qui te prend en traître.
Non, il ne cherche pas la vague au Lac Kir comme Brice à Nice… Son truc à lui, c’est le soliton, l’onde scélérate, la vague solitaire de 30 m qui arrive sans raison et engloutit d’un seul coup un bateau. C’est un phénomène de résonnance, où des petites perturbations s’amplifient de manière dramatique, comme si on touchait la corde sensible de l’océan… Un certain Peregrine, un anglais, avait proposé un modèle mathématique il y a trente ans, mais jamais personne n’avait vérifié par l’expérience que ce modèle correspondait bien à ce qui s’observait. Son équipe à l’ICB l’a testé dans des fibres optiques, où on peut obtenir le même phénomène de suramplification. Alors, quand il a publié cette découverte dans Nature, vous pensez bien que ça a fait des vagues… Ses pérégrinations ont même abouti à un brevet appliquant ces fortes amplifications au télécoms dans les fibres optiques. Quand tu surfes sur l’Internet… Pense à la vague !