Printemps 2018
N°74Cette étude historique inédite (on vous gâte) démarre au siècle dernier, pour être absolument exact en 1986, date à laquelle une bande de grands benêts débraillés et avides se retrouve à user ses patiences sur les bancs des amphi Aristote et Platon de la faculté de Droit et de Sciences Politiques de Dijon. J’ose le dire, le responsable et quand même un peu coupable se nommait Patriat (ça ne vous rappelle rien ?), pas l’ex-un-peu-tout-y-compris-ministre-et-en-marchiste-premier, non, donc si ce n’est lui, c’est donc son frère, Claude Patriat qui tel un Claude Bernard constitutionnaliste prenait un vif plaisir à disséquer, ouvrir, dépiauter les belles constitutions qui ont fait de la France ce qu’elle est.
Ces grands dadais rigolards voyant faire le maître se sont mis en tête de rédiger leur propre constitution, et n’ont rien trouvé de mieux que de restaurer le Duché de Bourgogne. Il était urgent de le séparer de la tutelle française qui n’avait que trop duré.
Très vite, le siège du pouvoir est désigné, ce sera La Concorde* et la première table en entrant à droite sera la table du Conseil des Ministres. Le principal rédacteur de la constitution s’arroge d’office le titre de Chancelier et ministre des Injustices (il faut dire que la devise de l’état était, et on reste confondu par une telle hauteur de vue, « Injustices, Arnaques, Beuveries »). Afin d’allier le temporel au spirituel, un Grand Archevêque de Kanterbourré est choisi, il cumulera sa fonction de chef spirituel avec celle ô combien régalienne de ministre des Beuveries. Très vite tout un gouvernement est constitué, votre serviteur y occupera le très enviable poste de ministre des Affaires Etrangères, ma vision de la politique étrangère était à la fois simple et prenant en considération les complexités des relations internationales. En clair, on parlait avec le moins de pays possibles afin d’éviter les conflits, et on ne nouait d’alliances qu’avec des pays producteurs de vins de qualité ou de bières de spécialités, toujours dans le but de garder une cohérence totale.
Il y avait un ministre de la Milice qui cumulait cette fonction avec la Condition Féminine. Le ministre de l’Economie et des finances a eu une existence météorique bien que sa proposition de réforme totale des systèmes métriques, monétaires, et de toutes unités de mesure ait reçu un accueil enthousiaste de la part du Chancelier, il faut dire que ce ministre avait émis le dessein d’appeler la monnaie du nom du chancelier, remplacer les kilogrammes, les kilomètres, et toutes les unités de mesures possibles par le nom du chancelier, avouez que c’était enfin une véritable mesure de simplification, j’ose dire un choc de simplification !
Puis il y eut une soirée peut-être un peu plus arrosée que les autres, où nous nous liguâmes pour tenter de renverser le Chancelier et de prendre le pouvoir par un bon vieux coup d’état. Le Grand Archevêque de Kanterbourré, le ministre de la Milice et de la Condition Féminine et moi-même. Nous attrapâmes physiquement le Chancelier, nous le ligotâmes dans un peignoir et nous le mîmes sous la douche froide jusqu’à ce qu’il capitule. Nous comptions sur son aversion pour l’eau pour le faire craquer. Malheureusement, il ne craqua pas, pire encore, le Ministre de la Milice et de la Condition Féminine voyant le Chancelier résister fit machine arrière, se rallia au Chancelier et nous menaça d’être arrêtés par la milice si nous ne cessions pas nos menées séditieuses. Et nous voilà quelques minutes plus tard écrivant notre auto-critique sous la dictée d’un Chancelier hirsute et dégoulinant. Nous n’avons dû notre salut et nos postes qu’au seul fait que nous avions retrouvé une bouteille intacte et monnayé notre maintien au gouvernement contre quelques verres !
La crème de la Milice était constituée par les commandos en charge de la sécurité personnelle du Chancelier. Ces commandos composés de véritables loups de guerre féroces et assoiffés de sang avaient été nommés les commandos Antoine Pinay. Nul ne les a jamais vus, mais tout le monde les craignait !
Ce beau rêve devait hélas vite tourner court, les différents membres du gouvernement ayant pris des chemins divergents.
J’ai connu une autre tentative de libération, c’était cette fois en 1998-1999 et cela se passait à Paris. Un gouvernement fut bien vite mis sur pied et on le baptisa Gouvernement en exil de la Bourgogne Libre. Un quarteron de bourguignons arrivés de fraîche date dans la capitale s’est de suite réuni sous la bannière de notre Président à vie. Inutile de vous dire que j’occupais le poste de conseiller spécial du Président aux affaires africaines. Ce dernier avait imaginé un système propre à favoriser les affaires entre les membres du gouvernement, ainsi, il mit au point un système de TVA négative fort astucieux. Ainsi à chaque fois que des membres du gouvernement faisaient entre eux des affaires, le gouvernement offrait à chacun des protagonistes une TVA négative, c’est-à-dire que l’état payait à chacun 20% du montant de la transaction afin de favoriser l’activité économique. Le Président à vie remettait à chacun un titre de créance à se faire rembourser auprès du Trésor Public français. Inutile de dire que cela donnait lieu à de multiples cérémonies exaltant le sentiment national, cérémonies d’autant plus émouvantes que l’éloignement de la mère patrie est important. Il nous est arrivé de commémorer des nuits entières dans la nostalgie de nos vignes et la folie de nos vins. Hélas et de façon assez incompréhensible, les recettes fiscales de la TVA négative étant somme toute peu importantes, et les avis médicaux des lendemains de cérémonies devenant de plus en plus alarmistes, le Gouvernement en exil dut fermer le bar, ou le ban !
Je suis en mesure d’affirmer qu’ayant fait à la fois partie du canal historique et de la version exilée, et malgré les innombrables et scélérates pressions de l’état français pour nous faire taire (ils sont allés jusqu’à me supprimer mon permis de conduire pour tenter de bâillonner le résistant que je suis !), je continuerai de croire en la Restauration du Duché ! Chassons l’envahisseur, formons nos commandos Antoine Pinay et nos bataillons Nicolas Rollin ! ■ Jean-Guillaume Dufour
* La Concorde est devenue L’Édito. À l’époque, c’était encore une belle brasserie à l’ancienne