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Magazine Dijon

Début 2012

 N°49
 
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Le pot au feu, la nation et le Paulo


Le pot au feu est la force des empires.

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Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Mirabeau. Mirabeau était provençal, donc substantiellement porté à l’exagération et par ailleurs, l’essor public du pot au feu est plus lié à la Révolution française qu’à l’empire, mais cette exagération même montre que le pot au feu est une gloire nationale comme le constatait un étranger notoire qui pourtant idolâtrait l’Italie : « Tous les peuples ont des potages, la France seule a le pot au feu ».
C’est flatteur, quoique assez inexact. Toutefois, Goethe, historiquement, dit vrai : avant le pot au feu, il y a le potage (ou bouillon, ou consommé), avant le potage le pot et avant le pot, le feu. Ce n’est que par, comme on dit, glissement métonymique, que le contenant donnera son nom au contenu, lequel ne trouvera sa forme et son titre qu’à la fin du XIXe siècle : viande de boeuf, plus légumes, plus bouillon. Avant cela, je vous passe les épisodes, on ne servait que le consommé après que celui-ci eût tiré de la viande cuite et recuite, bouillie jusqu’à la désintégration, ses vertus gustatives et réputées sanitaires. La viande, elle, était servie ensuite aux domestiques. Quant au bouillon, de porc, de volaille, de gibier, puis de boeuf (quand on en eut les moyens, il était rare et cher), on lui supposait des vertus nutritives et médicinales assorties à la puissance infuse du bovidé.

On voit par là que ce que nous considérons aujourd’hui comme un plat basique et populaire, est en réalité l’aboutissement d’un longue histoire, à la fois culinaire et sociale : aux élites le bouillon nutritif, aux pauvres la bidoche dépouillée de ses principes. Ce n’est qu’aux environs de 1791 qu’un certain nombre de cuistots jetés sur le pavé par la disparition des cuisines aristocrates vont servir, jamais ensemble, le bouillon dit « restaurant », puis le « bouilli », revitalisé à l’aide de maintes sauces.

Jusque-là, avec le bouillon, on ne servait que le pain, pour faire consistance. La fusion démocratique entre la cuisine des élites et celle du peuple se voyait ainsi réalisée ; mais il faudra encore un siècle ou presque pour que le nommé Magny, un restaurateur, lui donne son statut définitif, y inclut l’os à moelle sur une tartine, innovation géniale s’il en fut. Un pot au feu sans os à moelle, c’est comme une symphonie sans allegro.

L’histoire du pot au feu

et de ses semblables -poule au pot, hochepot, fleishsuppe, garbure… entre autres- est infinie, inépuisable. Ce que je voulais seulement dire, c’est que loin d’être, comme on le pense souvent, un plat fonctionnel de paysans, le pot au feu est une création culinaire patiente et complexe. Sans aller jusqu’à y voir, comme Dumas, autre exagéreur patenté, « la clef de voûte de la gastronomie française », c’est une construction lente, un plat unique autour duquel, pour plein de raisons, se sont rapprochées les sociétés, les familles, les personnes.
C’est cette longue histoire et cette complexité devenue totalité qui en fait, plus qu’un plat emblématique, un plat éternel et nécessaire, un plat repère.
On a tous besoin de retrouver ses repères, surtout en période d’incertitudes morales, de perplexité économique ou d’inconfort climatique. Parce qu’il est chaud, goûteux et pas bien cher, le pot au feu est -lorsqu’il est bien fait- un excellent plat de résistance à la contingence. Voilà pourquoi, souventes fois, lors des retours hivernaux, j’appelle le Paulo.
Jean-Paul Seurat, dit Paulo, est un personnage aussi pittoresque que paradoxal. Exemple : il a ouvert un restaurant de poisson connu du meilleur monde, mais c’est aussi le Wagner du pot au feu. Un pot au feu composé selon toutes les règles de l’art, du choix intransigeant des constituants à la rigoureuse clarification du potage. Il y ajoute même une concassée de tomates moins orthodoxe, qu’on ne trouve guère que dans la tradition ligérienne et dans quelques grimoires du XVIIIe où l’on voit la tomate remplacer parfois la sauce raifort ou la sauce dite « au pauvre homme » ; les cornichons viennent après, ce qui est le propre des cornichons. Le seul problème, dans tout ça, c’est que le Paulo n’en fait qu’à sa tête, qu’il ne cuisine le pot au feu que quand ça lui chante et que, consécutivement, on a toutes les chances de le rater.

Voici pourquoi, dijonnais, dijonnaises,

j’ouvre ici une pétition afin de convaincre ce vieux têtu d’instituer son pot au feu en plat du jour, au moins une fois par semaine, et durant tout l’hiver. Sa femme a déjà essayé de le convaincre, ça a failli virer à la tragédie ; quelques amis aussi, ça s’est perdu dans le Beaujolais. Il ne reste qu’une solution : la coercition populaire. Il paraît que cet hiver sera long et rigoureux. Aidez-nous donc à promouvoir un plat de salut public dont les derniers sondages nous apprennent qu’il remonte fort dans le coeur des Français, alors que peu de gens le consomment en vérité. Y en a marre ! Il est temps que le Paulo comprenne que son pot au feu est un genre de devoir national et que la France doit à présent sortir d’une contradiction préjudiciable à ses valeurs profondes. Après la poule au pot du dimanche, militons pour le pot au feu du lundi.

Le mardi, on sait, c’est raviolis.

Jean Maisonnave


 
 

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