hiver 2012 2013
N°53Profitez-en pour mettre le cap sur le Châtillonnais : à une encablure des champagnes, c’est peut-être le terroir d’excellence des bourgognes effervescents
Parler du « champagne du pauvre » dans un numéro consacré au luxe, ne serait-ce pas un peu cheap ?
Non, pas du tout. Rappelez-vous nos bancs d’essais sur le crémant de Bourgogne -car c’est de lui qu’il s’agit- et sur les champagnes autour de 20 € : dans le premier, on avait planqué un champagne classique. Il était arrivé quatrième. Dans le second, on avait dissimulé un crémant bourguignon, lequel était sorti dans le peloton de tête. Conclusion : il y a bien des crémants qui valent bien des champagnes.
Pas étonnant. Héritiers des mousseux qui, il est vrai, ne valaient pas tripette, les crémants de Bourgogne ont effectué au fil du temps et des méthodes de fabrication -méthode qui fut dite « champenoise », actuellement « traditionnelle »- une véritable révolution qualitative. Si bien qu’à présent, ils sont souvent fabriqués à peu près comme les champagnes (y compris la liqueur d’expédition) avec les mêmes cépages : chardonnay, pinot pour l’essentiel. Restent la géologie et le climat, qui diffèrent un peu. Et l’histoire…
Justement. Le deuxième motif pour en parler, c’est l’actualité : la Saint Vincent tournante se tiendra cette fois dans le Châtillonnais, aux confins de la Champagne, là où les terroirs se touchent et se rencontrent. Des calcaires semblables, peut-être un peu plus argileux sur lesquels depuis très longtemps on fait des vins, effervescents ou non (bien qu’aujourd’hui, les crémants représentent environ 80 % de la production locale). D’ailleurs, c’est de cette région, de l’abbaye de Molesmes exactement, que vinrent les moines fondateurs de l’abbaye de Cîteaux. En foi de quoi on pourrait solliciter l’histoire, sans trop pousser le bouchon, jusqu’à prétendre que le vignoble châtillonnais est en quelque sorte l’ancêtre du vignoble bourguignon.
La Saint Vincent, plus personne ne se bagarre pour l’obtenir, dans les grosses appellations. Pour plusieurs raisons. Lente dégénérescence du sens, boulot considérable, soulographies endémiques. On n’en aurait d’ailleurs pas parlé dans ce magazine à la vocation profondément culturelle, si pour les plus modestes appellations, ce n’était encore une aubaine, un bon moyen de se faire mieux connaître et de valoriser des producteurs qui font de gros efforts qualitatifs pour se faire un nom à l’ombre de leurs prestigieux voisins -on a pu le voir avec les Maranges. Et ces gens-là, il faut les valoriser pour les garder. Exemple : j’ai cherché Bartnicky, que je tenais jadis pour un Mozart du crémant châtillonnais. Peine perdue, la famille a franchi la frontière à, disons, six bornes de là. Maintenant, leur vin s’appelle « champagne » ; on voit pourquoi. On voit aussi par là que pour le consommateur, cette Saint Vincent, peut constituer une chance : plus célèbres, les crémants du nord deviendront plus chers.
Par conséquent, si Saint Vincent peut en passant donner un coup de main à Saint Pépette, loué soit-il jusqu’au plus haut des cieux. Surtout par les temps qui courent. Il ne s’agit en aucune façon de pousser des vins de second rang sous prétexte qu’ils sont moins coûteux, quoique la crise puisse y inciter. D’ailleurs il se fait désormais dans l’Aube de bons champagnes ayant acquis droit de noblesse face aux seigneurs de Haute Marne, à des tarifs très raisonnables. Mais si on aime le vin à bulles, voici, Noël venant, l’occasion de vérifier in situ, sans autre vain souci de les opposer, qu’un crémant bien travaillé vaudra toujours mieux qu’un champagne bricolé sous le confortable parapluie de l’appellation. Ce peut être aussi celle de découvrir, derrière les bulles, des hommes, un pays, une histoire. Bref, un terroir.
■ Jean Maisonnave
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
À consommer avec modération.