
1665 Voilà des années que la carrière de Bussy-Rabutin piétine. Dès 1659, le lieutenant général s’est laissé entraîner comme un jeune homme à une partie à Roissy. « Ce repas ne fut pas si sobre que les autres », avouera-t-il. En effet, l’on y a chanté des Alléluias de sa composition et l’on aurait baptisé un cochon de lait – un Vendredi Saint ! La sanction tombe : un premier exil. Bussy raconte pourtant cette orgie. Nouvelle imprudence à l’été 1660, pour distraire sa maîtresse, il compose un roman où il se moque des autres courtisans, c’est la libertine Histoire amoureuse des Gaules. Trois ans plus tard, le récit de l’orgie se retrouve dans son roman : fatale imprudence, il avait prêté son manuscrit à une amie, Mme de La Baume.
Le scandale enfle avec le succès du roman, qui révèle des vérités cruelles : Mme d’Olonne vend ses charmes, les amis du prince de Marcillac sont « plus éveillés que lui »... Bussy cherche à supprimer les copies en priant pour que le bruit s’apaise. Il se croit tiré d’affaire quand Louis XIV autorise son élection à l’Académie française, mais le scandale repart de plus belle. Bussy a beau brandir son manuscrit relié, il est jeté à la Bastille le 17 avril 1665. Il y restera quinze mois, avant d’être exilé en Bourgogne…
Il aurait mis en cause la famille royale. Pour Bussy, ces passages ont été rajoutés par l’amie indélicate ; celle-ci se défend : le manuscrit avait des suites… Accusation impossible à renverser, dès que les libraires se mettent de la partie. Or plusieurs éditions paraissent en 1665, puis les publications se succèdent jusqu’aux livres de poche d’aujourd’hui. Pire, les libraires en profitent pour mettre sous son nom d’autres romans – il passe toujours pour l’auteur de l’Histoire galante de M. le comte de Guiche et de Madame (la belle-sœur du roi). Et l’on s’étonnerait qu’il ait refusé de publier ses autres œuvres ? Alors coupable ? De son succès. Mme de Sévigné s’en plaint plusieurs années après : « Être dans les mains de tout le monde, se trouver imprimée, être le livre de divertissement de toutes les provinces… » Victime de son humour surtout. Corbinelli, leur ami commun, s’en amusait toujours : « D’abord j’en fus fâché, puis malgré moi j’en ris de très bon cœur. Après cela, je fus honteux d’en avoir ri. Ensuite je me laissai tenter de le relire. Je ris encore une seconde fois » – nous avons autant de plaisir ! ■ par Ch. Bl.
Christophe Blanquie est l’auteur de L’Exil illuminé, le roman d’un amour secret de Bussy-Rabutin après son exil. Il sera au château de Bussy le 14 avril, pour le 400e anniversaire de la naissance de son héros.
L’Exil illuminé,
de Christophe Blanquie,
Éditions Abordables, 20,90 €.