été 2015
N°63Alexis Doré fait partie, depuis quelques numéros déjà, du nouveau visage qu’on a voulu donner à ce mag urbain décontracté mais pas violent que vous tenez dans vos mains. Ce qui lui est arrivé dernièrement, et dont vous avez certainement pas entendu parler (il est passé sur France 2 et dans de nombreux médias) méritait une petite mise au poing. Point.
Alex, il est arrivé comme un chien fou dans un jeu de quilles, bousculant les habitudes d’une équipe faite de bric et de broc et où il s’est senti vite à l’aise, à la grande surprise de certains de ses potes et autres « comparses » des nuits folles dijonnaises.
On lui doit, dans le dernier numéro, ces photos sur « L’enfer du décor » dijonnais, qui ont surpris ceux qui avaient déjà oublié la destruction des minoteries, les anciens abattoirs, et qui se sont retrouvés face à ces photos à l’esthétique toute personnelle, témoignage d’un monde mutant que personne ne voit, souvent, en dehors des artistes comme lui qui cherchent à en retenir les traces.
Photographe punk dépressif pour le look, il ne nous a pas pas attendus pour avoir son public, qu’il retrouvait, de la Péniche à l’Alchimia, de soirées chaudes en journées plus mornes, pour bosser, préparer des expos, des concerts. Mais pour le mag, il a commencé une série de « Poses intimes » qu’on aimerait vous présenter un, jour le temps d’une grande exposition. Car c’est un tendre, Alex, pas un agressif.
Tous les reportages-photos qu’il a fait, en France ou ailleurs, ou qu’il fera à l’avenir (il part bientôt au Népal) témoignent de cette envie d’empêcher que tombent dans l’oubli des lieux, des paysages où la nature reprend ses droits. Quant ce n’est pas l’homme qui s’en mêle. Pour en faire des appartements de luxe, comme le couvent des Cordeliers à Dijon, ou un bel espace pour enfants du nouveau siècle, comme les Minoteries, à l’entrée de Chenôve... ou encore un quartier résidentiel chic à la place d’un ancien hôpital général.
Et là, je ne parle pas de Dijon, quoique, il y aurait eu matière. On garde les squelettes dans le placard pour un numéro spécial polar. Non, c’est d’un autre hôpital qu’il s’agit, dont vous avez forcément entendu parler, car les télés, les radios nationales en ont fait un sujet d’actu... un an après que les photos aient été faites et publiées, d’ailleurs !
Loire Atlantique. Été 2014. L’hôpital abandonné Moulin du Pé de St-Nazaire. Un décor pour tournage de série policière, avec des photos d’enfants morts-nés qui traînent dans les cartons. Sauf que tout était bien réel.
La démolition de l’ancien centre hospitalier du Moulin du Pé a été lancée. Un projet d’envergure qui effacera des mémoires la trace de ce qui s’est passé ici autrefois.
Entré dans cet hôpital par une porte ouverte, et donc sans infraction, Alex Doré a trouvé matière à photographier un autre « enfer du décor ». Certains avaient pris des photos ici avant lui. Un carton ouvert au sol était rempli de diapositives... d’enfants morts.
« Il y avait une centaine de boîtes dans ce carton, chacune contenait une quinzaine de diapos concernant deux à trois enfants, avant et après avoir été disséqués ». Sur chaque diapo, le nom et le prénom des parents, ainsi qu’une brève description de la pathologie.
« J’ai également trouvé des données personnelles éparpillées au sol, des dizaines d’appareils médicaux pour certains encore neufs dans leur carton d’origine, des télés dans chaque chambre... »
Alex a hésité à publier cette série sur son blog, car on était loin du domaine artistique.
« Mais je trouvais tellement aberrant que l’on puisse laisser traîner des choses aussi importantes à la portée de tous que je l’ai finalement dénoncé.
»
Il a rencontré ce jour là un agent de sécurité, plutôt soulagé de croiser un photographe qu’un pilleur, qui lui a expliqué qu’il détestait ce lieu car il était tous les jours visité « par des voleurs de cuivre ou autres, des ados, des débiles ou des squatteurs agressifs » .
Alex a publié sur son blog des photos de ses découvertes, dont une image montrant justement une des diapos d’enfants morts-né :
« C’était pour moi la seule solution pour prouver ce qui s’était passé et faire réagir ». Une série aujourd’hui retirée volontairement pour ne pas alimenter la polémique.
Aujourd’hui, Alex assume ses choix. Il ne sera pas le premier à avoir été placé en garde à vue pour des faits qu’il n’a pas à se reprocher. Et il continuera de témoigner sur un monde mutant où les monstres ne sont jamais là où on les imagine. ■ GB