Pintemps 2014
N°58De l’Argentine au Zimbabwe, en passant par l’Inde et, de plus en plus, les pays d’Europe de l’Est, la ville planifiée et régulée n’est plus majoritaire. En effet, 60 à 65% des citadins vivent aujourd’hui dans des espaces dits “informels”.
Dans ce cadre, Kinshasa, avec ses douze millions d’habitants et 90% de sa surface auto-planifiée et auto-construite, est l’incarnation d’un modèle alternatif qui, à bien des égards, est un révélateur. Pragmatique, autogestionnaire, étalée, urbano-rurale, en réseaux de réseaux, commerçante, Kinshasa est à Linux ce que la ville moderne est à Windows. Elle est contributive et ouverte. Or, le modèle du logiciel libre domine aujourd’hui sa discipline. Dans ce contexte du “do it yourself” la créativité, l’informel, le relationnel, la débrouille et l’entre-aide, sont les monteurs de la production, en dehors de tout dogme, mais sur un terreau culturel fort. Kinshasa nous donne à voir une ville où le village urbain est la norme, où le commerce de proximité est omniprésent, où les fonctions sont mélangées, où la voiture n’a pas envahi chaque recoin, où la rue est le siège des échanges, où l’ambiance est une culture.
Elle est un espace aux contradictions créatives. Ville village et ville globale, elle est un laboratoire à ciel ouvert d’un autre type d’urbanité, dont l’observation de certains aspects (la poly-fonctionnalité, la sociabilité de proximité, l’informel, la contribution individuelle...) fait évoluer notre conception de la ville. En effet, la production urbaine en France s’appuie sur une discipline que l’on nomme urbanisme. Celle-ci apparaît au XIXe siècle, au moment où le continent s’industrialise. Plusieurs courants de pensée s’affrontent. Cependant, c’est sans aucun doute l’urbanisme progressiste, celui de la Charte d’Athènes et de Le Corbusier, qui gagne. Son terreau idéologique est celui de la ville industrielle et du capitaliste. L’objectif est de rendre la ville fonctionnelle et productive. Cet urbanisme a permit d’apporter du confort matériel aux habitants. Ceci étant, cette vision de l’aménagement urbain flirte souvent avec l’autoritarisme et laisse peu de place aux initiatives individuelles, à la poésie urbaine. Dans ce cadre, je citerai l’architecte chinois Zhang Bin, que nous avions rencontré à Shanghai, il y a quelques années, pour un projet d’exposition “Aujourd’hui, nous construisons des formes en vue de les consommer”.
Aujourd’hui, des formes de villes plus relationnelles et moins fonctionnelles émergent à travers le monde et Kinshasa pourrait en être le modèle le plus extrême. Cette mutation devrait nous inciter à imaginer une gouvernance de nos villes qui serait plus participative et plus décentralisée.
■ Sébastien Godret