Printemps 2018
N°74par Jean-Guillaume Dufour
En 68, bien avant mai et ses manifs, il y eut avril et la disparition du plus people des élus de l’histoire de Dijon post 1477. Et pourtant, il n’avait rien pour le devenir. Né à Alise-Sainte-Reine en 1876 dans une famille modeste, il n’est pas trader ou footballeur, mais curé, ordonné en 1901, il n’est pas beau, pas bronzé, pas musclé.
Il est curé dans des paroisses de campagne (Auxonne, Drée, Bèze, Nolay). Il n’est pas animateur de prime-time, il rédige le bulletin paroissial, il n’est pas youtubeur, il organise des réunions pour porter la bonne parole et contrecarrer les communistes qui n’aiment pas les soutanes. Il n’est ni insoumis ni en marche, il prône les valeurs catholiques traditionnelles (famille, honnêteté, modestie, travail).
Il le fait avec une truculence toute bourguignonne. Ses réparties font mouche, à un communiste lui expliquant qu’il n’était pas possible de croire en Dieu, puisqu’on ne le voyait pas, il a répliqué : « Et mon cul ? Tu l’as pas vu et pourtant tu sais bien qu’il existe ! »
Il est mobilisé durant la première guerre mondiale, il est au service de santé, autant dire qu’il voit mourir beaucoup de gens. En 1928, il est nommé par l’évêque à Dijon chanoine de Notre-Dame, et on lui donne en 1931 la responsabilité de la rédaction des parutions de l’évêché (Directeur des œuvres de presse).
Quand arrive la deuxième guerre mondiale, au moment de l’offensive allemande, l’équipe municipale en place quitte la ville dans la panique comme une grande partie de la population. Ne restent dans les locaux de la mairie que quatre personnes : Paul Bur désigné comme le Président de la Commission municipale et trois membres, le Colonel Bichot, Georges Connes et le chanoine Kir. Ce 17 juin 1940, les allemands entrent dans une ville morte, le plus haut gradé pénètre dans la mairie et ne voyant personne parcourt les couloirs jusqu’à se retrouver devant le bureau du maire dans lequel il entre. Le Chanoine le voyant entrer lui lance : « Ici on frappe avant d’entrer ! ».
Le curé qui n’a à l’époque aucun poids politique officiel va se livrer à un jeu dangereux en allant tous les jours avec des papiers à en-tête de la mairie sur la base aérienne de Longvic qui servait de camp de prisonniers de guerre. Il y réquisitionne tous les jours des prisonniers alléguant que la mairie en a besoin pour assurer les services publics (eau, gaz, ordures ménagères,…), il fera libérer légalement grâce à son culot près de 5000 personnes !
Les Allemands s’en rendent compte et vont emprisonner le chanoine durant quelques mois, et le libérer à la condition qu’il n’ait plus aucune fonction municipale vraie ou fausse. Il continue de par ses écrits et actes à avoir une attitude ouvertement patriote qui lui vaudra un nouvel emprisonnement en 1943, et surtout un attentat en 1944 à son domicile de la place de la Libération.
Kir tente de poursuivre ses assaillants (de bons français), alors qu’il a pris deux balles dans le ventre. Il s’en tire de justesse et ses amis le persuadent de se faire oublier, il ne reviendra à Dijon que le 11 septembre 1944, date de la libération de la ville.
Il a 69 ans en mai 1945 quand il est élu maire de Dijon pour la première fois, et il le sera jusqu’à sa mort en 1968 (à 92 ans). Il sera aussi conseiller général et député de 1945 à 1967. Il a deux grands ennemis, les communistes et de Gaulle avec qui il entretient une relation de haine réciproque. Il est inscrit au CNI (Centre National des Indépendants et Paysans), et promène sa truculence jusqu’à Paris où ses réparties lui valent la faveur des médias.
À un député qui l’accusait de retourner sa veste, il désigne sa soutane et déclare : « Cher collègue, ma veste est de la même couleur des deux côtés ! »
Il popularise le Kir qui est servi lors de toutes les cérémonies de la ville de Dijon et a coutume d’offrir à ses compagnons de voyage dans le train qui le mène à Paris un Kir car il se déplace toujours avec Aligoté et crème de cassis. C’était un homme sanguin et dynamique, les dijonnais les plus anciens se rappellent l’avoir vu faire lui-même la circulation devant le théâtre quand les automobilistes n’étaient pas assez disciplinés.
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, il souhaite ancrer la paix entre les nations et pour ce faire imagine et met sur pied le jumelage entre les villes du monde, raison pour laquelle Khrouchtchev voulait le rencontrer et s’est déplacé à Dijon le 28 mars 1960. La pression est très forte de la part de l’épiscopat français pour empêcher qu’un prêtre ne serre la main du dirigeant d’un pays qui à l’époque persécute les chrétiens. Le chanoine est introuvable ce jour-là à Dijon, enlèvement ? Obéissance à sa hiérarchie au dernier moment ? Toujours est-il qu’il rencontrera Nikita à l’ambassade soviétique en mai de la même année à Paris et ira en visite officielle, accueilli comme un chef d’état à Moscou en 1964. C’est grâce à cet épisode que lors de l’élection législative de 1962 qui devait être perdue par Kir et gagnée par les gaullistes, le désistement surprise du candidat communiste au profit du chanoine lui permet de l’emporter ! Don Camillo et Pepone sont bel et bien des amis d’enfance !
Cela lui permet de se définir comme le seul « anti-communiste pro bolchéviks ! ».
Pour ce qui concerne le politiquement correct, Félix Kir ne savait même pas que cela pouvait exister, lors d’un débat, un opposant lui fait remarquer qu’il vante le mariage mais que lui-même n’étant pas marié, il était peu crédible. La réponse cingle : « Au moins ça m’évite d’être cocu comme toi ! »
Il est mort le 25 avril 1968, juste avant la chienlit, il reste une figure de la vie politique dijonnaise et nationale, d’aucuns affirment même que lorsqu’il était curé de Bèze, il aurait eu un enfant avec sa bonne, c’est dire si ce grandiose personnage était hors-normes ! ■
• Pour en savoir plus, lisez le dernier ouvrage que Jean-François Bazin a consacré chez Armand Colin à ce personnage devenu un mot culte et dont Albert Tournepage vous parle à la fin de ce mag historique
BD Mon curé chez les communistes