69
Magazine Dijon

Hiver 2016/2017

 N°69
 
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05

par Claudine Vincenot

’Jeu’ me souviens ! Dijon, C’est pour ça que je l’aime

Claudine Vincenot nous offre un « hors-piste » à sa manière. Un jeu, pour cette femme de lettres, née à Dijon d’un père qui aura bientôt sa salle à lui, au musée de la Vie Bourguignonne. Une lecture de paysage originale, qui donne envie de partir, quelque soit le temps qu’il fait au dehors, sur les chemins de traverse de la mémoire. Une balade destinée aux anciens comme aux nouveaux Dijonnais, mais aussi aux Bisontins et même à ceux qui viennent d’ailleurs, puisque personne n’est parfait. ■ GB


Dijon, C’est pour ça que je l’aime

Une ville, « ça » se contemple d’abord de haut, de loin, « ça » s’enveloppe d’un seul vaste regard désirant. Calme, on a le temps. Puis, quand la décision est prise : on s’en approche lentement, pas à pas, ou fougueusement si, enfant prodigue, on revient là où l’on est né.
Relancer l’émotion des retrouvailles… Chaque fois que ce désir me taraude, je grimpe sur le « chemin d’en haut », le « tal hent » d’où il faut la désirer pour que la cité des Ducs me prenne en main, en cœur.
A mes pieds, la ville toute entière, étalée à l’orée des brumes de l’Arar, l’ancienne Saône. A l’est, sur ma gauche, la soeur jumelle de la butte calcaire de Talant, celle de Fontaine… sentinelles esseulées du plateau de Langres finissant en chute libre sur la « Plaine ».
Du rebord rocheux d’où je rêve, à l’ouest, à ma droite, la vallée de l’Ouche sépare les monts d’Arrière-Côte du plateau de Langres, au creux de laquelle s’accompagnent, en s’ignorant, la voie ferrée, l’ancienne route, toujours joliment ombragée et superbement indifférente à sa siamoise, l’autoroute, la rivière aux tours et détours fantaisistes, et le canal assoupi, toutes voies convergeant vers notre capitale.
Mais, comme les choses ont changé, depuis mon enfance ! Le damier fleuri et verdoyant des vergers et maraîchage est mort, noyé par le lac Kir, grand œil tranquille au sommeil d’eaux mortes où cygnes et planchistes font voile en se mirant et s’admirant. Seule touche d’humour m’aidant à accepter la monotonie de ce beau lac artificiel : le zouave du pont de l’Alma. Insolite et admirable silhouette dont la présence incongrue m’amuse.
En face, dans les monts d’Arrière-Côte finissant, voici retrouvées les combes de mon enfance : la Combe à « la » serpent, notamment. Ce n’est plus la sauvagerie propice aux vraies escapades, où vivait le Père Michel, un Poilu asthmatique et sans bras droit depuis la guerre de 14 : copain de tranchée de mon grand-père Justin, il vivait là, dans une roulotte en planches, avec madame. Mon aïeul y allait bien souvent savourer un verre de blanc des marcs d’Or pour raconter encore et encore cette « connerie de guerre ». Je l’accompagnais. C’était chouette.
Par bonheur, notre Ville a replanté pinot noir et chardonnay sur le plateau de la Cras. Mieux, elle s’amplifie, s’embellit et « nos » vignes couronnent à merveille notre ceinture verte, chlorophylle et oxygène.

C’est une maison rose accrochée à la colline !

Un recueillement particulier freine ma descente sur la ville dans les éboulis rocheux dégringolant du village de Talant : au bord du chemin de Chèvre-Morte, - toponyme surprenant qui ne manqua pas d’inspirer Aloysius Bertrand -, la « Maison Rose » et son jardin désordonné aux effluves de pivoines, de lilas et d’iris en pâmoison. Et d’où, depuis mon berceau, je pouvais sans seulement bouger, contempler ma ville. Là où la Gestapo vint arrêter mon père, une belle aube de juin. Là, aussi, où nous pûmes, nous les enfants, « admirer » le splendide « feu d’artifice » que nous offrait le bombardement allemand de la gare de triage de Perrigny. Plus tard, seulement, je compris comme nos trésors dijonnais n’étaient pas « passés loin » de la destruction totale...

Notre Maison Rose les Buissonnets, pleine de rires, de vie, d’angoisses et de fuites dans la cave à la moindre sirène d’alerte, maison qui sentait bon l’encaustique, la lessive à la cendre de bois, la térébenthine et l’huile de lin mêlées au bleu de céruléum, à la terre de Sienne, et au vert véronèse sur la palette du peintre, mon père. Pivoines pavanantes, lilas opulents, iris aux mille nuances, parmi les topinambours et les framboisiers à la va-comm’j’te pousse, comme on rêve, comme j’aime vivre.
C’est par toutes ses odeurs, sublimes embrayeurs de la mémoire, que je retrouve ma ville.
Odeur puissante des buis, parfum des lilas sauvages en avalanche sur les roches surplombant la route. Senteur douceâtre et troublante de l’iris rustique si chère à Proust. Leur odeur m’accompagnait tout au long de mon chemin d’écolière, j’avais six ans, pour rejoindre l’école de filles, rue du docteur Chaussier. Ce chemin n’était pas encore goudronné mais tout blond du gravier des carrières jalonnant mon parcours, vastes blessures fraîches dans les entrailles de la terre. Ouvertes sous l’azur glacial ou torride du ciel dijonnais de mon enfance, elles ont donné à ma ville cette pierre tendre et claire. C’est de ces carrières que Dijon tient sa luminosité charnelle.
Je m’arrête sur le pont des Chartreux qui enjambe les voies ferrées : l’enchevêtrement savant des rails, des câbles, des caténaires, balafrant de ses traits métalliques la façade de la cathédrale qui apparaît alors, comme l’antre inévitable où s’engloutiraient trains et voyageurs pour l’éternité… Anachronisme surprenant, voire révoltant, et pourtant cela aussi, c’est Dijon. Je revois cela aujourd’hui avec les yeux de l’enfant à la mémoire pure.

La Rambla de la Libertad

J’entre « en ville » : impérialement, je passe sous l’arc de triomphe de la porte Guillaume et me voici sur la Rambla de la Libertad ! J’ aimerais y voir, comme à Barcelone, un musée de statues vivantes.
J’y aimerais aussi quelques terrasses. Bien sûr, me direz-vous, entre celles de la place Darcy et celles de la place de la Libération, la place du Bareuzai offre bancs, fauteuils, sièges à tous les badauds désirant « bader » qui passe, tout en se rinçant l’œil et se désaltérant. >>
À l’entour de cette « rambla », tout notre vieux Dijon s’étoile en rues et ruelles entièrement réservées aux piétons dont je suis ! J’ai depuis quelques temps déjà abandonné ce gros objet capricieux et encombrant, que l’on nomme « automobile » et je rends grâce à celles et ceux qui pensèrent à moi et eurent la bonne idée de permettre mes flâneries rêveuses, en un rythme à mesure humaine… Sans crainte de me faire renverser et sans fuir les pots d’échappement, ma rêverie pousse les portes, pénètre dans les arrière-cours, les jardins secrets. Je jette un œil dans tout couloir, minuscule ou majestueux, et j’entre sur la pointe des pieds… et je me régale !

Histoire d’eau

Mais, me demande-t-on souvent, il n’y a donc pas d’eau vive à Dijon ? D’eau claire et roulante ? Un fleuve qui partage toute belle cité en rive droite et rive gauche ?
Bien sûr les eaux calmes y tiennent grande place : le canal, où enfant, je rencontrai Gaston Bachelard lors d’une promenade avec mon père. Echanges, conversations. Je n’y comprenais rien mais j’adorais cet homme à barbe blanche et chapeau à larges bords, pour moi archétype du Vieux Sage, qui enchantait mes rêveries enfantines.
J’y ai connu, aussi, la maison de la famille Eiffel, qui pratiquait le commerce fluvial, aujourd’hui détruite. Le port, si actif dans mon enfance, avec canalous, chevaux de trait et belles éclusières, est devenu port de plaisance, agréable : allez sans hésiter passer un moment sur la péniche Cancale. Vous y serez reçus avec charme, entre l’îlot arboré digne d’un peintre impressionniste et la belle envolée métallique du sculpteur bourguignon Robert Rigot.
Oui, me direz-vous, mais lac, canal ne sont que des eaux mortes imperturbables et glauques, là où sommeille le passé et où semble s’ensevelir le présent.
Nous cachons notre jeu car nous avons aussi nos eaux impétueuses : l’Ouche, fringante et imprévisible,- que, pour ces raisons, nous maintenons dans les faubourgs-, nos belles fontaines fraîchement murmurantes en maints endroits de la cité : là, précisément, où l’on peut s’asseoir et « boire un coup » !
Et puis, enfin, nous avons le Suzon, naïade capricieuse, qu’un jour lointain la Ville mit sous l’éteignoir du macadam. Mais l’eau souterraine est une aventure de l’inconscient. Si côté cour, le vieux Dijon a, dans les apparences, la sérénité sceptique, la bonhomie goguenarde, l’attentisme satirique de qui a fait le tour des choses et à qui on n’en conte plus, côté jardin, dans les coulisses et sous les pavés, c’est tout le bouillonnement de l’eau alerte, « chant de jeunesse et conseil de jouvence ». Passions occultées mais passions tout de même et d’autant plus violentes qu’elles sont retenues. Cette eau jaillissante que l’on maîtrise recèle, à mon cœur, toute la vitalité splendide de la capitale de la Bourgogne. C’est là le charme d’une ville qui sait qu’elle plaît mais qui a la tendresse rude, l’affection mordante et qui ne s’épuise pas en exubérantes démonstrations d’intérêt.

Et c’est ainsi que je l’aime


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