Pintemps 2014
N°58Fond de terroir
par Éric Chariot
Le vin a une mémoire. Si, si ! Et on peut y lire les effets du terroir, du vieillissement, ou le bois dont il se chauffe le tonneau. Et c’est même pas ésotérique, c’est scientifique...
Ne comptez pas sur le vin pour oublier… le vin n’oublie rien. Régis Gougeon et Philippe SCHMITT-KOPPLINS travaillent sur la mémoire du vin. En tout cas ça les fait sourire quand on dit ça de leurs travaux. Humour de scientifique, en référence évidemment à la mémoire de l’eau, qui prétendait (à tort, on le sait depuis, jetez donc à la poubelle vos capsules d’homéopathie) que la molécule H2O gardait en mémoire les principes actifs des molécules qu’elle avait croisée.
Ici, rien à voir, il s’agit plutôt de reconnaitre, dans toutes les molécules qui composent un vin, celles qui trahissent le bois utilisé pour les futs, celles créées par le vieillissement, ou encore celles caractéristiques d’un terroir. Ce qui est vraiment nouveau, c’est la méthode d’analyse. Elle vient de Munich, là où travaille Philippe : « on utilise cette méthode pour analyser des systèmes complexes, comme l’océan, l’atmosphère, le climat, ou une météorite ! ».
Comment ça marche ? Petit cours de physique… Nan je rigole (mais j’aurais adoré vous expliquer). Il s’agit simplement de peser chaque molécule à l’électron près et ainsi de l’identifier. On obtient un panorama large de tous les composés présents et de leurs quantités. Et dans ce paysage on peut identifier les signatures de telle ou telle influence.
Voilà donc de quoi amuser nos deux chercheurs. Parce que oui, un chercheur, ça joue. La règle du jeu, faire varier un paramètre pour voir la différence à l’analyse.
Exemple : l’influence du bois du tonneau.
Ils ont ainsi analysé des échantillons de l’expérience « tonnellerie 2000 ». Opération où l’on faisait évoluer un vin dans des fûts venant de forêts différentes. L’étude a clairement identifié les signatures des chênes de Tronçay, de Bitche ou de Citeaux.
Autre exemple : le vieillissement. Une analyse en vertical (même producteur, mêmes parcelles mais millésimes différents) montre comment le vin évolue dans la bouteille ou ce qui a changé dans les pratiques du producteur. Voilà notamment qui peut aider à comprendre les problèmes d’oxydation que l’on rencontre dans les vins blancs depuis quelques années.
Enfin, on peut y lire le terroir. Même producteur, même millésime, mais parcelles différentes. Des études ont été faites avec la maison beaunoise Louis Jadot, et son emblématique régisseur aujourd’hui retraité, Jacques Lardière. Résultat, des différences infimes en sortie de vendanges mais qui s’accentuent avec le temps. (Nos chercheurs arrivent donc à lire l’avenir d’un vin dans le marc… sont forts quand même !). Deux découvertes donc. D’abord que le terroir existe, (Alleluia !) au moins à grande échelle, entre la Côte de Nuits et la Côte de Beaune. Ensuite, qu’il s’exprime avec le temps ! Notion que l’on pouvait avoir intuitivement, mais qu’il est toujours bon de vérifier.
Autre étude, commandée par l’ami Aubert de Vilaines, sur la Romanée Conti. Rien que ça ! Et… oui, là, plus finement, on a pu constater des différences entre les parcelles du domaine, entre une Romanée Conti et une Romanée Saint-Vivant par exemple. Le terroir est casanier, et rechigne à traverser la route qui les sépare.
Maintenant que nos chercheurs de l’IUVV ont appris à maîtriser ce nouveau jouet, nul doute qu’ils vont s’amuser à d’autres espiègleries scientifiques. Par leurs études ils montrent que le vin est un produit complexe, en perpétuelle évolution. Qu’il fait appel à des interactions multiples avec son environnement. Et que pour ainsi dire il est unique. Pas demain la veille qu’un hurluberlu arrive un jour à vous sortir une boîte du petit chimiste pour créer vous-même votre Corton-Charlemagne ou Charmes-Chambertin. Et ça c’est une bonne nouvelle.