Octobre 2016
N°68Cancans-coillotte et ragots de mouton
Qui y a-t-il au menu de cet automne ? Deux quartiers populaires qui doivent choisir entre virer gastro-boulot-dodo ou mourir par les soiffards. Un brunch qui fait mâle. Des nouvelles brasseries. Une reprise de resto qui crée l’événement, rue Jean-Jacques Rousseau. Un ratage historique, place de la Rép. Un quartier de la gare qui vire Chinatown. Un nouveau chef qui nous invite à aller à « L’Essentiel », rue Audra. Des Japonais au top, rue Coupée de Longvic, un coin qui n’a rien d’un coupe-gorge, quoique... Tout ça rien que pour Dijon. Virer métropole, ça se mérite !
une place du Théâtre qui revit, avec une nouvelle brasserie aux premières loges pour accueillir les spectateurs sortant du dernier spectacle des « 26 000 couverts », une compagnie qui aime les grandes tablées...
Dijon, métropole du futur, est en train de passer à la vitesse supérieure. On est heureux pour elle, et pour nous, les Dijonnais. « La belle éveillée ! » C’est ainsi que David Zuddas, le chef de la tribu brunchée dijonnaise, décrit une ville qui a retrouvé sa joie de vivre le 7ème jour, consacré d’ordinaire au repos.
Mais pour être éveillée, la ville l’est même un peu trop. On est passé en moins de deux décennies d’une cité qui s’endormait tôt à une ville où plus personne ne peut dormir en son sein, ou si mal, les bars de nuit ayant poussé plus vite que les tables et terrasses douces à vivre. On est mâle… Ouais, on est mal aussi, du coup.
Quel rapport avec la cuisine des chefs ? Il y a toujours eu des rues de la soif, des quartiers chauds, des bars et des restos popu à côté d’étoilés plus coincés, direz-vous. Oui, mais la donne a changé, une ville a besoin d’équilibre pour attirer des habitants autant que des touristes, et l’équilibre est en train de se rompre.
En dehors des Halles et de la rue des Godrans, on a du mal à trouver à Dijon, comme dans les autres grandes métropoles, des quartiers bien identifiés, pour manger, boire, sortir. Il doit y avoir un microclimat autour des Halles, car c’est le seul quartier qui a réussi sa mutation : on y mange, plutôt bien, on y boit, plutôt pas mal, et on fait la fête. Ici les pros veillent au grain, évitant les dérapages.
La mutation des espèces fait que certains quartiers sont morts pour la restauration mais pas pour l’animation nocturne. Les dernières bonnes adresses de la rue Berbisey risquent de fermer faute d’un coup de pouce envers une rue vivante tombée dans la nuit, alors que des hôtels particuliers, des lieux de charme pourraient en faire le lien évident avec la future cité de la gastronomie. Et des quartiers comme la République sont en danger, la déferlante vineuse atteignant désormais le théâtre et les abords du palais des ducs, transformés en rues de la soif alors que viennent de s’y installer des jeunes chefs qui tiennent entre leurs mains l’avenir de la cité.
Les lieux où l’on mange ou achète de bons produits font le charme de la ville, on a même créé un guide exprès pour vous les indiquer (Le Duke). Avec une centaine de jolies adresses qu’on aime recommander à nos visiteurs, dont nombre de bars à vins qu’on aime bien et qui ne posent pas de problème.
Dijon s’est donné deux ans pour redevenir une ville dont on parlera pour sa Cité de la gastronomie autant que pour sa qualité de vie. Ce serait dommage que les visiteurs n’aient plus qu’une ville musée désertée par ses habitants, une fois sortis des restos qui - heureusement pour nous - continuent de tenir bon ou d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la ville.
L’enjeu est de taille. On est loin du clivage centre ancien-Toison d’Or, quoique… Certains en voient le prolongement, la fuite des clients du midi n’étant pas compensée par les résas du soir. On boit plus que l’on mange.
Mais soif de vivre ne veut pas dire tapage nocturne. Il va falloir y penser, dans les mois à venir, pour que la ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco ne devienne pas seulement la cité des bobards. Pardon, des beaux bars.
Ahuy et Quetigny attirent et on a dégotté là-bas des lieux étonnants. Mais l’avenir gourmand de la cité se joue au centre : entre la République et le théâtre, le plus jeune étoilé de France (Les Cariatides) a été rejoint en octobre rue Jean-Jacques par celui qui a été le chef de Zuddas durant plus de dix ans (L’Arôme). Au centre… au sens large, précisons pour ceux qui croiraient qu’on fait de la politique : durant l’été, on a vu une jolie adresse (L’Essentiel) s’installer dans une rue Audra improbable sur le plan gastronomique. Et c’est rue Coupée de Longvic qu’on a découvert un des restos japonais les plus incroyables du moment.
Les ouvertures continuent et en décembre, on devrait découvrir une nouvelle brasserie place de la Lib, « Le Temps des Ducs ». Une reprise attendue au tournant (de la rue de la Lib) après la création, cet été, de celle qui a redonné couleur et vie à tout un coin de la place du théâtre : « La Brasserie des Loges ». On vous parle de toutes ces nouveautés dans les pages qui suivent.
Choix privés, raison publique
La place Emile Zola a retrouvé le sourire, tandis que celle de la République pleure la disparition d’une adresse mythique, l’Alhambra, appelée à devenir une des enseignes du groupe « Au Bureau ». On rêvait d’un café-concert, on aura le concert des klaxons.
Pour retrouver le calme, allez manger chinois avant de prendre le train. Tout le quartier prend des allures de Chinatown, et pourquoi pas, après tout ?
On est dans une société où ce sont les privés qui donnent vie ou non à une ville. Tant mieux ! On est heureux aussi de voir la puissance publique intervenir pour créer une animation comme ce brunch qui nous a régalé, tout l’été, aux Halles. Au point qu’on aurait aimé avoir des animations du même type en décembre, sur fond de vin chaud. En attendant de retrouver les grandes tablées, l’été prochain, ce serait bien que nos édiles s’intéressent, cet hiver, aux maillons les plus faibles, les plus isolés, qui feront ou pas la réussite de la cité (de la gastronomie) de demain. Dijon, la belle insomniaque, un slogan qu’on voudrait éviter !
■ Gérard Bouchu