58
Magazine Dijon

Pintemps 2014

 N°58
 
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05

Par Jean Maisonnave

Histoire de calçots Billet de retour


calçots Catalogne

En Catalogne, lorsque neigent les amandiers et que la feuille s’annonce, vient le temps des calçots. En gros, fin janvier, début février ; mais cette année on en trouvait dès la mi-janvier sur les marchés de Barcelone. Les calçots sont de jeunes oignons primeurs, à peine bulbés, qu’on cuit traditionnellement dans la braise, en fagots, et qu’on mange tout aussi traditionnellement avec la sauce romesco ; une sorte, disons, de vinaigrette tomatée, épaissie et tempérée par les amandes pilées. Visuellement, le résultat de la cuisson est si éprouvant qu’on les sert dans du papier journal et que l’étranger bronche devant ces pauvres brindilles calcinées, fuligineuses et plus noires que les tréfonds de l’enfer.

Pourtant les catalans en sont fous. Ils se réunissent pour de longues calçotades en famille ou entre familles et rares sont les restaurants qui ne les annoncent pas en façade, quitte, pour les aventureux, à les « revisiter » avec plus ou moins de bonheur ; car il n’est pas aisé de transgresser les rituels. Et celui ci ne se borne pas à des affaires de goût. La saveur des calçots est extrêmement douce et fraîche, suave, presque melliflue. Un peu de tendresse inaugurale dans un monde encore froid, assortie d’une sensation parfaitement antinomique à l’aspect funèbre, purement résiduel, apparemment incomestible du produit.

Là, déjà, on peut comprendre que cet humble légume est en fait un produit à fort contenu imaginaire. Mais il y a surtout la façon de faire, obligatoire, pour ainsi dire cérémonielle. Celui qui s’aviserait de consommer le calçot en l’état repartirait la tronche pleine de cendre et la bouche sinistrée. Un peu comme si on mangeait la coque avec l’oursin. On attendait l’extase, on se retrouve à l’hosto.

Il faut le saisir de la main gauche, exactement à la base, puis avec trois doigts de la main droite pincer l’intérieur de la tige, pour extirper du cadavre calciné, doucement, la feuille fragile et pastel, qu’on voit surgir, comme une indiscutable et gratifiante récompense, des profondeurs désastreuses. Pour l’autochtone, c’est un jeu d’enfant et un jeu tout court que de voir le non initié se dépatouiller avec ce machin aussi répugnant qu’énigmatique. Il faut mériter ce plaisir ou bien il faut appartenir à cette communauté.

Tout bien considéré, l’engouement extraordinaire pour le calçot ne l’est peut-être pas tant que ça. Comme l’épiphanie, le carnaval et autres fêtes primitives - beaucoup ayant été récupérées par les religions - liées à la fin de l’hiver, à l’accroissement des jours, à la fertilité espérée, cette tige vive et savoureuse, arrachée à la rigidité noirâtre de ses cendres, je la vois comme une résurgence de la vie à travers la mort, comme un autre symbole du renouvellement du temps et comme le présage des jours meilleurs.

C’est ce qui explique sans doute une passion si durable et collective pour le calçot. Dépouillé de ses débris et des oripeaux consumés de l’hiver, il ramène le printemps dans nos assiettes et dans les coeurs.


 
 

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