50 nuances de vert
Étonnant de relire dans un vieux Bing Bang de l’an 2000 ces lignes qui parlent d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas imaginer : « L’heure n’est plus aux jardinets proprets, aux allées tranquilles, aux promeneurs du dimanche… Dijon ne doit pas seulement se trouver un maire, mais un maître… paysager ! Surtout, chers candidats à la mairie (il s’agissait de François Rebsamen et Jean-François Bazin), ne rêvez pas trop : on ne vous demande pas de jouer les grands ducs, entourés d’une cour de morts-vivants plutôt que de bons-vivants. Soyez simplement à nos côtés, dans la réalité de tous les jours, pour que nos propres rêves ne finissent pas en illusions perdues ».
Ce qualificatif de maître paysager, on l’avait inventé à une époque où on attendait du maire qu’il réveille la petite ville de province trop tranquille qu’était Dijon. Une ville tenue depuis 30 ans par Robert Poujade, qui avait été dans les années 70 le premier ministre de l’Environnement.
Difficile d’avouer désormais que c’est d’une ville verte, apaisée, dont on rêve. Celle-là même dont on se moquait il y a 20 ans. Il était de bon ton, à l’époque, d’ironiser sur les parcs et jardins, qui faisaient partie de la France du passé. Celle où il était interdit de marcher sur la pelouse, sauf à risquer une amende.
Le maire actuel a rendu souvent hommage à Robert Poujade, « l’homme qui a commencé à donner à Dijon sa couleur verte », tout en craignant dans un numéro daté de 2001 que « l’avenir retienne de lui surtout, l’aménagement des quartiers périphériques et la naissance de nouvelles portes pour la ville : Pouilly, l’Auditorium ». Des réussites béton, avions-nous plaisanté ensemble.
Cité de la Gastronomie, adaptation aux mesures climatiques, murs végétaux, propreté, plan de circulation, vélos dans la ville, sociale écologie, sapin de Noël, ravalement, centre Dauphine, projet Grangier, futur centre culturel d’art contemporain, on a évoqué en bref des sujets dont on parlait entre nous, quand la Covid 19 nous en laissait le temps. On était habitué à avoir un maire ayant réponse à tout, on n’a pas été déçu. Même si l’on a été un peu perdu. Pour la première fois, on l’a découvert fragile, montrant les limites de ses pouvoirs face à un préfet ou un pouvoir parisien qui le fait voir rouge, bien souvent.
On a préféré garder pour plus tard les sujets qui fâchent et revenir sur ce qui est censé apaiser (le vert) et faire revenir un jour les touristes : la Cité de la Gastronomie, qu’on voit sortir de terre avec un certain effarement. Patience ! Le maire « s’interroge », l’équipe révise sa copie, pour éviter un clash comme à Lyon. « S’il n’y a rien de festif, de participatif, les gens ne viendront pas… On est en train de revisiter l’esprit de la Cité pour ne pas tomber dans l’erreur des Lyonnais. Pour les vins, il faut qu’il y ait des caves à parfum, qu’on puisse goûter ». À Dijon, le maire nous promet des surprises.
« Il faut attendre que tout soit terminé. Le projet est très beau ». Des terrasses surélevées, comme à l’entrée de Chenove, avec des jardins suspendus ? Mais les vélos, les piétons, ils passeront où ? Il nous faudra être patient, un grand projet de voie verte au départ du port du canal est dans les tiroirs, une vraie échappée belle pour partir ensuite vers les vignes ou le long du canal… et même sur l’eau, avec une péniche-taxi d’un nouveau genre.
« Dijon est plus vert qu’on l’imagine. De l’eau, des jardins, des toits terrasse, comme sur la piscine du Carrousel, des murs végétaux… Il y a quantité d’espaces verts encore enfermés entre quatre murs, comme le square Carrelet de Loisy, ou celui qui est à moitié caché rue Victor-Dumay, à l’arrière de l’hôtel d’Esterno. Partout où je peux, j’essaie de casser les murs » L’exemple de la Banque de France est une réussite. Un maire qui fonce, on aime ça. Même si certains craignent qu’il aille dans le mur, car l’envie de se protéger va inciter ceux qui possèdent des jardins secrets à les garder pour eux.
On a beaucoup parlé biodiversité, gestion des déchets, évoqué les 55000 logements raccordés au réseau de chaleur, tous les points forts qui auraient pu permettre à Dijon d’obtenir le statut de capitale verte européenne en 2022, si Grenoble ne l’avait pas coiffée au poteau. Inutile de revenir sur le sujet, sauf peut-être à propos de notion de sociale écologie, vocable appelé un jour à remplacer le mot socialisme, qui sait : « on ne fera de l’écologie que lorsqu’elle sera portée par les milieux les plus modestes. Il faut arrêter de faire culpabiliser ceux qui regardent leur pouvoir d’achat baisser pendant que les autres prennent l’avion, le bateau. Si l’écologie leur rapporte quelque chose, alors oui, ils la prendront en compte. »
Et d’évoquer la situation de la Fontaine d’Ouche, placé au cœur d’un espace naturel que beaucoup de Dijonnais connaissent encore mal. Du travail en plus pour l’adjoint qui s’est vu ajouter les combes à sa délégation aux espaces verts. Dijon a une bonne nature, il faut seulement apprendre à la connaître pour pouvoir le reconnaître un jour, on a retenu la leçon du maire.
Et en ville, les voyants restent-ils au vert ? On attend avec impatience de voir le centre Dauphine, triste bloc de béton délabré, se transformer. « Des corrections sont apportées, c’est un projet difficile, il y a des copropriétaires multiples, mais ça va être magnifique ». Un regret ? « L’abandon du projet de la place Grangier, imaginé par un Bertrand Lavier inspiré, qui a capoté à cause du poids du parking en béton. Trop difficile à réaliser, et je le regrette, c’est un grand artiste ».
Des glaces, des plantes grimpant sur des structures métalliques, un bar ouvert sur la place, on aurait aimé voir ça. Les amateurs d’art contemporain ont pu se consoler avec l’installation de l’œuvre de Gloria Freedmann, pas Bertrand Lavier, même si c’était sa compagne que la ville finançait. Avec le réchauffement climatique, on aurait eu droit à des plantes exotiques.
« C’est à Dijon qu’il y aura la capitale française d’art contemporain » ! Emmanuel Macron l’aurait promis. Une réflexion lâchée au moment de quitter un bureau où le tableau de Ming avait été décroché pour rejoindre les collections du musée des Beaux-Arts.
Un musée qui a accueilli cet été des touristes en nombre mais qui avaient peu d’arbres pour s’abriter de la chaleur, en dehors d’un jardin des ducs surpeuplé. Le maire avait évoqué l’idée d’un immense velum pour faire de l’ombre sur la placette où trônait autrefois la statue de Rameau, que seuls les pigeons regrettent. Un projet là encore difficile à réaliser du fait de sa dimension, mais qui pourrait voir le jour en haut de la rue de la Liberté ou dans des rues plus étroites. Pour l’heure, des panneaux invitent à la découverte d’un Dijon vert méconnu, que les gamins découvrent en slalomant avec leurs bicyclettes. En attendant de découvrir sur la place de la Libération un immense arbre de Noël, composé d’une multitude de sapins. Un clin d’œil aux maires verts psychorigides. Une nuance de vert que le maire de Dijon ne connait pas. ■ GB