Juin 2008
N°35Texte : J. Maisonnave
Photo : BIngBang/Fotolia
Le nom du produit doit alerter : balsamico, ça vient de baume. Il y a là quelque chose de magique, un principe de concentration vers l’essentiel, on s’en servait comme onguent, comme médicament, et bien sûr pour magnifier la cuisine rurale. Le mot vinaigre est venu après, ouvrant la porte du malentendu avec celle de la grande consommation. Et l’on voit poindre ici la question qui a motivé, après d’autres, ce banc d’essai : un produit peut-il se démocratiser en gardant son identité ? Du saumon à la tomate cœur de bœuf, en passant par tant d’autres, c’est la grande question de l’alimentation contemporaine avec son corollaire : le sanitaire, mais on n’a pas la place.
Acceptons donc l’appellation « vinaigre », ce que n’est pas le balsamique traditionnel, puisqu’il n’y a pas de fermentation de vin. Il faut là aussi rappeler l’essentiel : le balsamique est obtenu par la réduction de moût de raisin, cuit à feu nu, puis mis à vieillir, théoriquement, dans une batterie de tonneaux de plus en plus petits et de sept bois différents, je vous passe les essences. Le problème, c’est qu’on s’est permis vu que ce n’était pas (assez) réglementé, de faire à peu près n’importe quoi sous couvert de cet intitulé. Pour aller vite maintenant, il faut que ça vienne de la province de Molène ; à part ça l’appellation « Vinaigre Balsamique »
peut recouvrir à peu près n’importe quoi, du pire, souvent, du meilleur rarement, à tous les prix. C’est pourquoi nous nous sommes faits un devoir, à travers ce banc d’essai, de tenter de réduire l’incertitude, qui autorisa toutes les manipulations, d’autant plus impunément que le produit, devenant mode, devenait chic. Funeste processus, déjà, hélas. On n’arrivera pas à l’enrayer, même si, médiocrité aidant, le balsamique est en train de passer de mode, sauf chez les ploucs urbains.
Mais si nous arrivons à persuader quelques-uns, qu’un bon vinaigre de vin, souvent moins cher qu’un piteux balsamique pas vieilli et trafiqué au caramel, est meilleur pour la salade, ce sera déjà ça. Le problème, c’est que vu la confusion et l’expansion du pire, le meilleur, déjà très difficile à produire, a encore augmenté, au point de devenir carrément hors de prix. Faut-il pour autant renoncer ? Non, vous allez voir qu’il existe de très bons (n°20) produits intermédiaires. Et comme disait ma grand-mère : mieux vaut un petit verre de bon qu’un grand verre de mauvais. Il ne faut pas seulement savoir choisir, il faut savoir utiliser.
[1] Franco FILIPELLI Restaurateur
[2] Jean-Pierre BILLOUX Cuisinier
[3] Gilbert DULAC B.I.A.C.
[4] Frédéric Guilland Cuisinier
[5] Mélissa FRANZINO Consommatrice
[6] Jean MAISONNAVE Bing Bang
La dégustation des vinaigres balsamiques s’est tenue le vendredi 30 mai à 10 H (dur le matin, pour des vinaigres, même doux) au Restaurant « Ostéria Enotéca », 32 rue Amiral Roussin à Dijon, et la boutique adjacente. N’ayant strictement aucune action dans la maison, je me permets de vous inviter à la découvrir : Pointue ! surtout pour l’Italie du Sud ; les pâtes au blé dur, alors là, oui.
Comme d’habitude, les produits ont été achetés (la veille) dans des établissements représentant l’ensemble de la distribution, de la boutique spécialisée au discount. La plupart de ces établissements proposant plusieurs vinaigres balsamiques, nous avons décidé de choisir au hasard de l’appellation « Vinaigre Balsamique de Modène » dans toutes les gammes de prix, l’objectif étant cette fois de montrer combien cette même appellation peut recouvrir des produits dissemblables. Parmi ceux-ci, un vinaigre « traditionnel », le seul véritable, en fait, si on se réfère à l’histoire du « balsamico ».
Les contenants étant un indice fort en la matière (les plus petits étant les plus vieux, en principe !), le jury a dégusté et examiné les vinaigres dans des ramequins et des verres à liqueur neutres, avec du pain éventuellement, à la petite cuillère, après un exposé sur les origines du produit et le choix collectif d’appréciation du produit (vue, olfaction, goût). Dégustation parfaitement anonyme et silencieuse.
En France, l’âge des balsamiques n’est pas indiqué sur les étiquettes. Dommage : comme le confirme avec éclat cette dégustation aveugle, les plus vieux sont très généralement les meilleurs (et souvent les plus chers), même si les saveurs de réduction inhérentes ne sont pas toujours du goût des jurés. Ce qui frappe à l’examen des fiches, c’est d’ailleurs cette fois une nette bipolarisation des jugements, les uns privilégiant l’acidité, les autres la sucrosité et sa nature, l’adjonction de caramels étant autorisée, si indiquée sur le contenant. Hélas.
La qualité paye : Le « traditionnel » est place en tête à peu près unanimement. En revanche, les ex-aequos seconds sont de natures extrêmement différentes : Campari est mis en tête par beaucoup, mais très sévèrement noté par un juré. D’où l’égalité avec un « Système U »
moyennement, mais honorablement coté par la plupart. Nonobstant, je prends mes responsabilités : pour moi il n’y a pas photo, Campari est bien au-dessus.
Ma conclusion est la suivante : il ne faut pas coter le balsamique à l’aune d’un vinaigre, son acidité originelle (de 6 %) s’estompant au fil des âges. Or normalement, un balsamique doit passer par 7 bois, au moins un an chaque. Raison suffisante pour mettre un peu d’ordre dans l’appellation. Il y a du boulot pour le Consortium, mais il n’y tient pas trop : le relatif abatardissement du produit, en diminuant les coûts, favorise la consommation. Et c’est bien ça, le vrai danger, comme pour le saumon, le foie gras et autres, on l’a déjà dit : l’alimentation à deux vitesses : la daube pour tous, l’excellence pour l’élite. On n’est pas sorti de l’auberge.
Marque origine, Maison |
Commentaires |
Prix |
Note sur 100 |
Classement |
GERZONE « Tradizionale » Boutique OLIO & FARINA - Rue Musette |
Très dense en nappant, sans être sirupeux. Nez très floral à boisé, mais acidité un peu agressive, saveur longue, complexe, grande typicité → le seul « traditionnel » de l’ensemble. |
69 € 10 cl |
79 |
1er |
« Les Saveurs » Marque Repère SUPER U - Arc sur Tille |
Peu de personnalité en tout, mais aucun défaut pour personne. Au bout du compte, un honnête produit de milieu de gamme, caramélisé → Arrivé en second grâce à un juré dithyrambique... |
1 € 88 25 cl |
75 |
2 |
LUDOVICO CAMPARI Boutique ENOTECA |
Aspect superbe et nappant (mais un juré le juge « collant »), saveur de réduction, appréciation excellente pour les jurés, sauf un. Beau produit proche d’un traditionnel. |
21 € 25 cl |
75 |
3 |
CREAZIONI D’ITALIA LECLERC |
Produit jeune (4 ans ?), trop fluide, sans grand caractère. Vinaigre à salades. Mais deux jurés aiment bien... |
3 € 05 25 cl |
70 |
4 |
MONOPRIX GOURMET MONOPRIX |
Aspect correct, un peu trop brun. Nez et bouche communs - encore une fois jugements très moyens, mais deux jurés apprécient... |
2 € 43 25 cl |
68 |
5 |
ACENTINO LIDL |
Aspect peu conforme, forte adjonction de caramel, descendu par tous les jurés, sauf un. → « Fabriqué en France » |
0 € 99 50 cl |
62 |
6 |
Marque distributeur OLIVIA & CO - Rue des Godrans |
Produit correct, caractéristique (onctuosité, acidité). De la finesse, des parfums (écorces et herbes) mais une sucrosité qui laisse sceptiques plusieurs jurés, d’où la note... |
17 € 90 25 cl |
61,5 |
7 |
Marque distributeur Biologique Boutique OLIO & FARINA - Rue Musette |
Jugements contrastés. Equilibré, acidité trop dominante, voire, pour un « brûlante ». Produit correct, au final, mais pas assez affiné. |
12 € 46 25 cl |
49 |
8 |
STRAVECCHIO « Aceto de Vino » Le Roi des Pâtes - Rue Quentin |
Produit agressif au nez, excessive fluidité. Aucun caractère balsamique. Pour un juré « bon pour la salade !. Étonnement collectif (pour cause...) |
16 € 85 25 cl |
Non noté |
X |
MAILLE Velours de Balsamique Boutique AMORA - Rue de la Liberté |
Texture épaisse, belle couleur rouge-brun, correcte. Manque d’acidité, grosse réduction. Saveur très harmonieuse malgré olfaction faible → Condiment |
3 € 50 25 cl |
Non noté |
X |