Printemps 2013
N°54Dijon cité de la gastronomie
Jean Maisonnave
Elle vire au feuilleton, cette histoire de Cité gastronomique. Au feuilleton, excusez, un tantinet chelou.
Revenons aux origines. L’UNESCO classe le repas gastronomique des Français au « patrimoine immatériel de l’humanité ». Dossier initié, ça aura son importance, par l’université François Rabelais de Tours. Liesse médiatique, fierté nationale, il faut matérialiser le triomphe. D’où le projet d’une cité de la gastronomie. Idée pas si géniale, si vous voulez mon avis, mais qui semble bien plaire à tout le monde vu qu’une cité, n’est-ce pas, c’est attractif et comment. Reste à définir le contenu. Création d’une commission ad hoc, où figurent, c’est normal, plusieurs Tourangeaux ainsi que des tas de gens bien, de Guy Savoy à Jacques Puisais, d’André Daguin à Pascal Ory. La commission travaille, puis émet un grand nombre de préconisations où affleurent partout des exigences pédagogiques et environnementales. Plus les composants traditionnels : rayonnement, internationalisme, tourisme bien sûr et volonté d’excellence bien entendu. Il faut lire, rien n’est oublié.
Cité de la Gastronomie donc. Monument unique, par définition, auquel chacun aspire. Surviennent six candidatures, vite ramenées à cinq. Versailles, c’était juste pour amuser la galerie (des glaces…), le maire ne soutenait pas du tout le dossier. Restaient cinq villes : Tours donc, Lyon bien sûr, Chevilly-la-Rue parce que Rungis et Paris, Beaune et Dijon. A titre anecdotique : on a failli avoir Saint-Denis comme candidat. Ah ! Paris et sa banlieue gastronomique !
En novembre dernier - j’ai un témoin - j’avais parié que la commission ne trancherait pas et que l’Etat ne financerait pas. Bingo. Pas besoin de talents divinatoires, c’était politiquement prévisible. En janvier, la commission élimine donc Beaune sans surprise, et retient Tours, Rungis, Dijon. Victoire, clament les heureux gagnants. Mais la commission d’ajouter que la décision définitive interviendra fin avril. Arguments techniques. Surtout, il y avait de la pression politique et l’oubli de Lyon passait mal. Bien que son maire se soit montré mou du genou sur le dossier, bien qu’ils aient joué le coup comme si leur primat allait de soi, bien qu’ils se soient montrés rapiats et suffisants avec leurs salons, la fondation Bocuse, les étoilés et tout, l’histoire de la cuisine et celle de Lyon sont indissociables.
Côté dossiers, ceux de Lyon et de Dijon, d’ailleurs, se ressemblent assez : on se conforme aux préconisations. Mais celui de Dijon est plus complet et, surtout, bien plus richement doté. Celui de Tours est plus prospectif (je ne sais pas si c’est un atout), on y sent une réflexion sur les pratiques alimentaires (c’est à Tours que se situent le vieil Institut du Goût et le moderne Salon Euro Gusto), mais il est imbitable. Une indigestion de langage technocratique. S’agissant de gastro, on aurait pu éviter. Quant à Chevilly/Rungis, je n’ai pu lire qu’une sorte de paraphrase assez comique des recommandations de la commission. Ils ont dû être un peu sidérés de se retrouver là ; mais quoi, Rungis est le plus grand marché alimentaire du monde et Delanoë fut son prophète.
Suite à ces épisodes plus florentins que cornéliens, nous voilà donc nantis d’un « socle de réseau » triangulaire, en attendant de nouveaux développements. Aux dernières nouvelles, Lyon reviendrait dans la course, ce qui serait cohérent, et Dijon se rapprocherait de Beaune, ce qui serait miraculeux. On a donc carrément abandonné la cité pour la multiplicité.
Ce qui peut justement donner à penser que dans cette affaire de poire coupée en trois - ou quatre -, si chaque morceau fait la même chose, si la commission ne se débrouille pas pour que les cités soient complémentaires dans leurs missions et fonctions, alors tout ça n’aura plus aucun sens et la poire, en définitive, ce sera le contribuable.