Hiver 2013-2014
N°57Par Cyrille Marceau
GOOD MORNIG DIJON - MUR DU SON
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il traverse une zone de turbulences. Le plafond est bas sur l’aéroport Dijon-Bourgogne, dont l’intérêt pour l’économie locale et pour les déplacements de chacun ne fait de doute qu’aux yeux de quelques esprits chagrins. Le départ des avions de chasse, le retrait du conseil général de son financement, le développement concomitant de l’aéroport de Dole, l’attitude un peu compliquée à saisir de certains élus, Eastern Airways qui baisse la voilure… Bref, on ne sait plus trop où on va. Mais il faut le rappeler avec insistance : l’aéroport fonctionne toujours avec deux lignes régulières pour Bordeaux et Toulouse, une ligne saisonnière pour la Corse (ce sera Ajaccio en 2014) et un programme charter qui n’est pas si ridicule. Reste cinq questions, pertinentes… Décryptage.
Non. On a entendu tout et n’importe quoi sur le sujet. Certains ont osé affirmer que le maintien de l’activité civile contribuait au maintien de l’activité militaire. Les faits ont prouvé le contraire. L’état-major de l’armée de l’air n’a que faire de la présence éventuelle de quelques avions civils sur « sa » piste. Il prend ses décisions en fonction de ses propres critères stratégiques et financiers. Inversement, le départ des derniers avions de chasse change la donne pour l’activité civile car ce sont les militaires qui assuraient la tour de contrôle, la sécurité incendie, le déneigement de la piste… Ces activités seront reprises par la Direction générale de l’aviation civile, qui facturera ces prestations à l’aéroport, exactement comme le faisait précédemment l’armée de l’air. Donc, pas de conséquences. D’ailleurs, bien des aéroports aujourd’hui civils furent autrefois mixtes militaires-civils, à l’instar de celui de Strasbourg, qui a plutôt bien survécu au départ des militaires.
Oui et non. Oui car il a réussi à attirer Ryan Air, compagnie un temps pressentie pour ouvrir un Dijon-Londres. Tant que Ryan Air se pose à Dole, elle ne viendra pas à Dijon. Ce qui contrecarre les projets du programme Renaissance.
Non car Dole n’a jamais réussi à faire autre chose que du « tourisme sortant ». C’est un aéroport de charters dont les quelques lignes régulières permettent aux Francs-Comtois et aux Bourguignons de partir en vacances. L’objectif de Dijon est de faire venir des touristes et de servir le business. Les deux plateformes ne sont donc pas sur le même créneau. Il n’en reste pas moins que leur coexistence, à 40 kilomètres de distance, est une aberration qui ne saurait durer.
Mais rappelons 2 choses à propos de « Dole-Jura ». Dans les années 1995, quand Dijon envisageait de se doter d’une desserte aérienne, la question avait été posée de savoir s’il serait opportun de créer à Dole un « aéroport interrégional » - idée qui n’a rien d’absurde, pour le coup. Silence assourdissant du côté de Dole : personne là-bas ne voulait miser un kopek sur cette piste à charters. Depuis, le kérosène a coulé sous les ponts… Le développement soudain de Dole est le seul fait du conseil général du Jura, qui engage des sommes effarantes dans le financement de lignes aériennes fortement déficitaire et qui essuie de nombreux et coûteux échecs - des compagnies venues de pays exotiques se succèdent pour assurer pendant quelques mois des lignes improbables, vers Angers, Münich, Nice… Attendons de voir ce que l’Europe et peut-être avant elle la chambre des comptes diront de l’engagement des finances publiques jurassiennes dans ce projet !
Il faut d’abord invoquer des raisons géographiques. Dijon fait partie des grandes villes situées à une relative proximité de Paris et qui n’ont pas d’aéroport : Reims, Orléans, Amiens sont dans ce cas de figure. La facilité d’accès aux aéroports parisiens est un obstacle, à l’évidence. Mais elle ne suffit pas à expliquer l’absence d’aéroport. Lille, à 1h de TGV de Paris et à 30 minutes de Bruxelles, a bien son aéroport…
Le deuxième facteur est donc économique. La zone de chalandise de Dijon est relativement faible car l’influence de la ville est limitée par Paris, Lyon et, dans une moindre mesure, Nancy-Metz, Bâle-Mulhouse…
Mais de nombreux aéroports en France se sont développés malgré ce handicap : Saint-Étienne et Grenoble tout près de Lyon, les petites plateformes de Languedoc-Roussillon qui jouent à touche-touche face à Montpellier…
Le troisième facteur est donc probablement politique. Sans un soutien fort, appuyé, ouvertement exprimé de l’ensemble des acteurs politiques, un projet aéroportuaire ne peut pas voir le jour. C’est la même chose que pour n’importe quelle infrastructure de transport (TGV, autoroute, rocade, tramway…). Et ce manque de soutien politique ne date pas d’hier…
Faux. Quand la compagnie à bas coûts Buzz se pose à Dijon en 1996 pour assurer la liaison vers Londres, elle fait un carton. Une ligne bien faite, bien organisée, avec des horaires et des tarifs adaptés, ça marche ! Faisons taire ceux qui ne connaissent pas le dossier : si Ryan Air, après avoir racheté Buzz, a fermé Dijon-Londres, ce n’est pas à cause d’un manque de rentabilité de la ligne, mais d’abord parce que l’aéroport, à l’époque, ne répondait pas aux exigences techniques de la compagnie.
Sur un autre registre, Dijon-Bordeaux a atteint aujourd’hui son seuil de rentabilité. Une liaison point à point avec aller-retour dans la journée vers une destination bien ciblée, ça marche ! La qualité de l’offre permet de pallier la faiblesse de la zone de chalandise de l’aéroport de Dijon.
À ce jour, tous les scénarios sont envisageables, du pire au meilleur. Tout dépend de l’issue de l’appel d’offres lancé par le conseil régional afin de trouver un exploitant à partir du 1er juin 2014. Tout dépend aussi, et c’est lié, du montage financier qui sera possible si le conseil général confirme son retrait du projet. Tout dépend encore de ce qui se passera à Dole : si Ryan Air fermait ses 3 lignes actuelles, Dijon pourrait être une solution de repli pour elle. D’autres questions restent en suspens : Eastern Airways restera-t-elle à Dijon, après avoir revu ses ambitions à la baisse (2 lignes au lieu de 4 ou 5 prévues, 1 seul avion basé au lieu de 2…) ? Les terrains, hangars et bâtiments libérés par l’armée aux abords du tarmac et qui devraient se négocier à bas prix ne pourraient-ils pas intéresser des compagnies aériennes ?
Le pire serait une fermeture pure et simple. Ou simplement une fermeture des lignes régulières, Dijon retrouvant le statut qui a souvent été le sien de piste d’accueil pour charters et avions d’affaires. L’option n’est pas impossible, malgré la volonté affirmée de François Rebsamen et de François Patriat de maintenir la plateforme active (c’est-à-dire avec des lignes régulières, malheureusement limitées au nombre de deux sous obligation de service public). Inversement, l’arrivée d’une compagnie low cost pourrait redonner des couleurs à Dijon, comme cela s’est vu dans des aéroports plus improbables que le nôtre (Beauvais, Bergerac, Tours et bien d’autres). ■