Eté 2013
N°55
Un jour, alors que j’étais en vacances à Prague, je trouvai chez un brocanteur un superbe kaléidoscope dont le corps oblong était recouvert d’un velours vert usé ; sur l’objet étaient inscrits ces mots, en lettres dorées passablement effacées : « Dijon, juste après minuit ».
L’objet n’était pas cher, et ma curiosité étant piquée, je l’achetai ; rentré à mon hôtel, je le portai à mon œil droit. Je n’avais pas été volé : le kaléidoscope fonctionnait parfaitement, une fois secoué. Mais, parmi les innombrables combinaisons d’images éclatantes qui m’apparurent, aucune n’était en rapport avec Dijon.
Un soir, me vint l’idée d’utiliser l’appareil à minuit passé, comme l’inscription le suggérait. Et là, j’ai vu…
J’ai vu - et leurs costumes chamarrés me firent comprendre que nous étions au XVe siècle - des diables bien humains, au nombre de quatre, sillonner les rues de Dijon, hurlant comme des possédés, crachant le feu, brandissant des torches, mimant un véritable « théâtre de l’absurde » avant l’heure ; la nuit était tombée, mais les gens du peuple quittaient leur logis et venaient les contempler, fascinés…
Je pénétrai dans une taverne sise à l’extrémité de l’actuelle rue des Godrans. Là, au mépris du couvre-feu, une bande d’aigrefins, qui se nommaient eux-mêmes les « Coquillards », jouaient aux cartes et plumaient le bourgeois. Plusieurs d’entre eux furent par la suite ébouillantés sur la place du Morimont - place Émile-Zola. J’entends encore leurs horribles cris…
Ensuite, j’arpentai les rues désertes, mollement éclairées par une lune gravide. Autour de moi sinuaient des ombres humaines, en quête d’un mauvais coup. Mes yeux se levèrent, et je constatai qu’une lumière brillait à une fenêtre de la tour Philippe le Bon. Comme par miracle, je me retrouvai dans une vaste pièce, ornée d’une immense cheminée, dans laquelle brûlait un feu d’enfer. Un personnage vêtu d’une longue robe noire se retourna et me dit : « Je m’appelle Georges de Bayne et je suis heureux car ma mission est terminée. Le Duc mon maître sera satisfait. Voyez donc. » Je m’approchai. Il tendit vers moi son bras prolongé d’une sorte de pince. Celle-ci enserrait une boule d’un rouge incandescent, qui peu à peu perdit de son éclat et l’or apparut. Je tendis machinalement la main pour m’en saisir et alors… La vision s’évanouit.
Je vis bien d’autres choses encore, merveilleuses ou terribles, mais je n’en ai pas parlé. Qui donc aurait pu me croire ? Et d’ailleurs, jamais plus, par la suite, elles ne se sont manifestées…
■ Claude Lougnot