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Magazine Dijon

Pintemps 2014

 N°58
 
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Dijon, c’est pas de la petite bière

À la sortie de Dijon, on devrait bientôt voir deux panneaux : route des vins d’un côté, route de la bière de l’autre. Comme en Alsace. On peut aller non seulement chercher son vin mais sa bière locale en prenant le Transco :
à moi Bretenière et La Mandubienne ! À moi Longchamp et sa bière ! Talmay et la Loro ! Les différents modes de transports et le changement de perception des distances offrent une confortable proximité, ce qui permet à ces brasseries d’avoir une plus vaste résonnance. À nous les blondes, les ambrées, les brunes ! Et aujourd’hui je suis fier d’être un Bourguignon... qui boit de la bière de Bourgogne ! Adieu pisse d’âne, et bonjour passé retrouvé de la brassiculture en région. Loin d’être un effet de mode, la bière reprend ses quartiers. Ces nouveaux artisans ont tout à prouver et redoublent donc de maîtrise et de savoir-faire. Quid et état des lieux de cette production qui place la barre déjà très haut.


oktoberfest-beer-festival

Une bière des Haltères.

Au XVe siècle, Jean-Sans-Peur, vénéré duc de Bourgogne, impose le houblon comme arôme principal de la bière, ce qui en stabilise un peu plus le goût. En 1419, peu avant sa mort, il crée l’ordre du Houblon (à l’époque le duché bourguignon s’étend jusqu’aux Flandres, grande région houblonnière). Cependant, ce n’est qu’au cours du XIXème siècle, vers 1850, que Victor Noël introduit le houblon à Beire-le-Chatel. Débute alors l’âge d’or du houblon dans notre région avec notamment deux variétés endémiques. Le phylloxera jouera également un rôle, propulsant le houblon comme culture de substitution mais vers 1950, la Bourgogne mise sur la production viticole et la politique agricole soutient l’Alsace pour le houblon. Le houblon bourguignon n’est plus coté sur le marché à partir de 1965. Les derniers pieds sont arrachés pendant les années 70, laissant derrière eux une part d’histoire et renforçant du même coup l’hégémonie du vin.

Ok, mais aujourd’hui…

L’année 1985 marque le retour de la brassiculture régionale grâce aux Bretons : à Carhaix, la brasserie Coreff sera la première vraie brasserie régionale et artisanale d’envergure de “l’ère moderne”. Le mouvement est lancé. Au début des années 2000 débarque la Mandubienne (bière de Dijon), grâce à l’initiative de Virgile Berthiot. Les bières régionales sont souvent emprises d’histoire : Mandubien est le nom d’une tribu gauloise qui squattait autour d’Alésia. On retrouve de telles étymologies pour la Vercingétorix de la brasserie de Vitteaux, la Thomas Becket pour la brasserie Larcher à Sens, la Rouget de Lisle pour la brasserie du même nom à Bletterans dans le Jura et l’Ovidia, une bière à la graine de moutarde, qui était brassée du côté de Bèze (grand lieu de l’histoire de la houblonnerie en Côte-d’Or). Plus récemment se sont développées la brasserie de Longchamp, installée dans les locaux de l’ancienne faïencerie ainsi que la brasserie de Vézelay, près de la célèbre abbatiale.

Ça se boit ça ??? 

La bière n’est pas plus simple à faire que le vin. Cependant, bien que l’art du brassage soit dur à maîtriser, les ingrédients peuvent s’acheter facilement. Ajoutons à cela une once de folklore, et cela permet à certains brasseurs de camoufler leur manque de technique en y introduisant des ingrédients saugrenus et superflus, éloignant ainsi le produit de ce qu’il doit être. Méfions-nous des recettes alambiquées ! La bière est et doit rester constituée d’eau, de malt, de houblon et... rien de plus (du sucre et des épices peuvent éventuellement y être mélangés, avec prudence). Les bières Loro, brassées à Talmay, constituent toutefois un contre-exemple car l’iconographie et la chartre graphique hispanisantes rappellent plus les goûts et origines du brasseur, que le folklore local. Cette brasserie possède une bonne base pour son jeune âge (née en 2011). Ses bières doivent donc être travaillées en s’inspirant de ce qui se fait déjà, tout en continuant à affirmer sa personnalité. Elle pourra alors prétendre arriver au niveau de ses deux consœurs avec lesquelles elle sera inévitablement en concurrence.

Dans notre région, l’étendard est porté par deux brasseries qui offrent une production de qualité et en cohérence avec ce que doit être une bière. La première est la Brasserie des Trois Fontaines à Bretenière, qui brasse la Mandubienne depuis plus de 10 ans avec des ingrédients venant principalement de la région. Blanche, blonde, ambrée, brune, ces bières dégagent de fortes qualités gustatives et des amertumes discrètes et fondues qui leur confèrent une gourmandise certaine. La brune est riche d’un malt bien torréfié qui apporte des touches de café et de chocolat proches des arômes empyreumatiques que l’on retrouve dans le vin. La seconde est la Brasserie de Longchamp qui propose également une production très qualitative et en cohérence avec sa taille. Une blanche, une blonde et une ambrée sont disponibles ainsi qu’une IPA, la Ducale (bière de tradition anglaise, à l’amertume prédominante très à la mode en Belgique). Le gustatif est également au rendez-vous, avec un penchant plus aqueux et floral que les précédentes, ce qui permet une “buvabibilité” à toute épreuve. Une mention spéciale pour la Ducale qui offre une amertume fraîche et non astringente, tout en conservant le côté floral commun au reste de la production, ce qui procure du relief et donc un vrai plus (la meilleure bière artisanale française qu’il m’ait été donné de boire !). Depuis quelques temps, une bière de Vézelay a fait son apparition, mais son omniprésence dans les grandes surfaces et autres grands distributeurs en font une bière quasi industrielle, un produit moins authentique, qualitatif et passionné, dommage…

bière Longchamps

Je connaissais une Polonaise qui en buvait au petit-déjeuner…

À Dijon, la production locale est bien représentée. La Mandubienne est souvent présente en pression ainsi qu’en bouteilles de 33 ou 75 cl. Je vous conseille d’aller en boire au Cappuccino, au 132 rue Berbisey, où Raphaël vous servira une “historique”, puisque cet endroit a été le premier à en proposer sur Dijon. À la Cancale, c’est Côme qui vous servira la Mandubienne la plus “funky”. À L’Embarcadère, resto-bar associatif de la rue d’Auxonne, Damien vous servira une “solidaire” mais vous pourrez y découvrir également la production de la Brasserie de Longchamp (en bouteille jusqu’alors, et à la pression en avant-première le 18 Avril à partir de 19h). Sinon, vous pouvez également aller à L’Antre Deux Mondes, rue d’Ahuy, boire une pinte en écoutant un morceau d’Iron Maiden, Judas Priest ou encore Blind Guardian et aussi au Flannery’s pour une ambiance d’outre-Manche. Pour ceux qui souhaiteraient goûter la bière de Vézelay, ils peuvent aller en boire à L’Industrie, rue des Godrans, pour se faire leur idée (le choix de bières belges n’est pas non plus dénué d’intérêt dans ce bar de quartier). Restons dans le monastique et notons la collaboration qui existe entre la Brasserie Sancerroise à Sancerre dans le Cher et l’Abbaye de Corbigny dans la Nièvre. Ensemble ils travaillent sur une blonde de triple fermentation, refermentée en bouteille avec du miel du Morvan : la bière de l’Abbaye du Jouir. Un retour aux sources qui, dans l’esprit, est proche des Trappistes avec une collaboration entre laïques et monastiques (comme à Chimay ou Orval pour les belges). En ce qui concerne l’extraterritorialité, je vous conseille la boutique des chambres d’hôtes L’âme de la terre à Ruffey-les-Echirey. Une adresse qui a le mérite de réunir le vin et la bière sous le même toit, issue de la rencontre d’un Bourguignon (ancien sommelier de l’Hostellerie de Levernois) et d’une Allemande. On y trouve donc de grands bourgognes qui côtoient certaines excellentes bières allemandes.
Comme les Bretons ont fait naître la brassiculture française moderne, citons également le bar L’Annexe, rue Devosge, où Bernard vous proposera une sélection de bières bretonnes et notamment la Britt, brassée à Trégunc dans le Finistère avec son célèbre macareux sur l’étiquette. Une mention toute spéciale pour un bar hors temps, hors mode en Saône-et-Loire, entre Chalon-sur-Saône et Buxy, sur la commune de Grange : Au Bon Coin. Un patron marseillais (Christian), des bières bretonnes avec pour décor le 71, je n’vous en dis pas plus… À noter également, en matière de bières françaises, qu’au bar le Saint-Nicolas, rue Jean-Jacques Rousseau, il y a de la Jenlain en pression, brassée par la Famille Duyck. La dernière brasserie familiale industrielle française, des irréductibles qu’il faut soutenir au milieu des grandes multinationales. Enfin, pour la maison, je vous conseille la fromagerie La Grapillotte, rue Monge, dont l’offre de bières régionales est aussi intéressante et complète que le choix des fromages. Et en plus, rien de plus délicieux qu’une bière avec un bout de mimolette extra -vieille, maroilles, comté 12 mois, beaufort, etc. etc.

bière Bretennière

L’important, c’est de partir pisser,

comme disait Coubertin.

La bière est un parent pauvre de la boisson. Moins snob que le vin, son étiquette populo ne lui a jamais permis d’avoir sa place dans le cénacle de ces produits avec lesquels on peut tout à la fois s’encanailler et être en contact direct avec une force supérieure nous transperçant de béatitude. Aujourd’hui, que peut-on souhaiter ?

Déjà on peut commencer par souhaiter à la bière qu’on ne lui consacre pas un téléfilm comme le “Sang de la vigne” (même avec Pierre Arditi). On peut également lui souhaiter (à moitié) que David Lanaud du Gray ne lui consacre pas un musée en découvrant qu’il existe une rue de la Houblonnière à Dijon. Par contre on peut clairement lui souhaiter que le nombre de brasseries augmente (déjà une bonne dizaine en Bourgogne). Que des entreprises individuelles lui donnent une part de choix dans leurs événements (Sparse l’a fait pour la présentation de son cinquième numéro à la péniche Cancale, en y proposant une bière issue de la brasserie de Longchamp, habillée d’une étiquette spéciale pour l’occasion). Que la restauration de tout niveau lui donne la place qu’elle mérite comme par exemple au Château de Saulon, au Château de Gilly, au Chapeau Rouge, dans la boutique et les restaurants de Loiseau, au Château de Chailly et à la Diligence à Meursault ainsi que chez David Zuddas. À l’époque où il officiait à l’auberge de la Charme à Prenois, il fumait un saumon à la Mandubienne ambrée et cette même bière entrait également dans la caramélisation de pommes pour l’élaboration de certains desserts. On peut se rappeler également qu’aux Œnophiles, l’ancien chef utilisait la Mandubienne blonde pour des crèmes brûlées et des sorbets à la bière.

Certains ont déjà repris le flambeau, comme au Château de Saulon, où Denis Carré élabore une joue de bœuf à la Mandubienne brune. Preuve que la bière a son rôle à jouer dans la gastronomie, tant pour son aura que pour ses qualités gustatives. Claude Killian l’a lui aussi bien compris et propose, sur le site de sa brasserie, des recettes où la bière de Longchamp entre dans la composition. On souhaite également que la bière gagne sa place dans l’univers de la sommellerie : pourquoi des bières aux qualités apéritives, digestives, etc. ne siégeraient-elles pas aux côtés des grands vins ? (Maxime Brunet, meilleur sommelier de France, devrait donner l’exemple !). Nous souhaitons au final être de plus en plus nombreux à en boire. Que chacun trouve une bière pour chaque moment et chaque moment pour une bière. Nous devons boire de la bière non seulement pour soutenir les artisans mais également pour que notre niveau d’exigence augmente et que la brassiculture puisse devenir un secteur d’avant-garde et de modernisme dans notre région. Ainsi, nous participerons à faire revivre ce passé oublié. Cela ne nous permettra peut-être pas de mieux comprendre notre époque, mais une chose est sûre, elle l’améliorera en lui apportant un peu plus de saveurs.

Contact
bierologue.conseils@gmail.com


 
 

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