65
Magazine Dijon

hiver 2015

 N°65
 
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04

Billet de retour
La chronique de Jean Maisonnave

De canal en Suzon

Amaigrissement notable de l’ours. Paysages sétois. Coup d’œil sur la figuration libre. Regard sur les arts modestes. Hypothèse d’un MIAMIAMIAM dijonnais.


Jean Maisonnave miam

C’est le pompon

Revenant de Sète, je retrouve ici l’ours d’icelui (Pompon), revu et laminé par un Sétois pur jus, Richard di Rosa, membre éminent, avec son frère et d’autres, de l’école de Sète, dite plus tard par Ben « Figuration libre ». Statuette commandée à l’intention de ceux qui contribuent à l’agrément de la ville de Dijon. Ils ont de la chance. C’est mieux qu’un diplôme en parchemin ou une coupe en alu dorée.
Cela dit, je ne l’aurais pas reconnu, cet ours dodu si souvent croisé au jardin Darcy, tout raplapla qu’il est, avec son œil unique planté sur le tranchant du front. Et, hormis peut-être cet œil orbiculaire, je n’y aurais pas non plus retrouvé di Rosa, dont les sculptures et figurines sont très généralement rondes, plantureuses voire carrément mafflues. En quoi le cadet di Rosa est bien représentatif de son école et, au-delà, de l’ensemble de la peinture sétoise. Celle-ci, pour aider à comprendre, ressemble tout à fait à la cuisine locale : copieuse, colorée, très épicée et considérablement cumulative. Avec en plus une certaine violence joyeusement provocante. Amateurs de distinction et de bon goût, passez votre chemin, là n’est pas le propos. Ou plutôt si, a contrario : il s’agit de s’affranchir de ces catégories-là, de leurs représentations, du néo conformisme inhérent à la marchandisation de l’art. À y regarder de près, l’original ours de Pompon n’était pas loin en son temps d’exprimer de semblables valeurs. Mais celui de di Rosa, en plus, est marrant. Et ça, c’est très sétois : la dérision de l’art dominant, jamais lointaine.
La ville de Sète est partagée en son milieu par un grand canal qui coule vers la mer. Sur le canal, les thoniers, les chalutiers, les barcasses. Au bord, les terrasses bien serrées. Une sorte de colonne vertébrale liquide où concomitent travail et hédonisme. La vie quoi. Sur une des rives, le centre d’art contemporain ; comme qui dirait ici, le FRAC. Sur l’autre rive, le MIAM : musée (!) international (!) des arts modestes et non modernes, comme je l’ai lu avec consternation dans le BB64. Rien à voir. Au contraire. Ce MIAM fut créé par les frères di Rosa et quelques drôles pour abriter toutes ces formes d’art populaire qu’on ne voit jamais dans les musées. Des machins inclassables, souvent récupérés ou détournés, grossiers matériaux réhabilités par les mains et l’imagination de gens qui ne se veulent pas forcément des artistes mais qui le furent, pourtant, au moins une fois. Aucune hiérarchisation entre « haute » et « basse » culture. Aucune référence à l’art naïf qui est une contradiction dans les termes. Mais un goût affiché pour l’éphémère et le dévalué, le travail manuel, la folie, l’irrévérencieuse déconnade, la liberté sans contraintes esthétiques ; tous les rejets concrets ou idéologiques de la consommation. Est-ce que c’est beau ? Là n’est pas la question. Et moi, c’est ça justement que je trouve beau.

Ces deux musées sont d’un côté et de l’autre du canal. Pas face à face, non, mais bien séparés. Et pas forcément complémentaires, quoiqu’ils aient partiellement la même clientèle, celle des musées, disons. Il y en a qui ne vont jamais dans l’un ou dans l’autre. Mais surtout, il y en a qui ne vont jamais ni dans l’un ni dans l’autre et qui restent de loin les plus nombreux. Ce serait plutôt eux la question.
Au centre d’art contemporain, on va pour réfléchir. À l’art surtout. C’est ce que peut faire de mieux un centre d’art contemporain et ce n’est pas rien ; on peut y ressentir certains bonheurs, parfois. Au MIAM, on va pour d’autres raisons, qui ont moins à voir avec les idées qu’avec les pratiques, et sans doute moins avec les beaux-arts qu’avec les modalités de la création en société. Donc avec les fonctions de la culture. C’est plus politique. Et c’est assez d’actualité non ?
On ne doit pas s’étonner ; par leur recours aux arts popu (BD, pub, comics, graffitis…), les bricolos de la Figuration libre, aujourd’hui internationalement bankables, voir leur cousin Basquiat, se souviennent qu’ils étaient d’abord des rockers fauchés. Avant de faire école, ils firent un groupe punk. Normal. À Sète, on fabrique des musiques dans beaucoup de cafés et des ateliers de n’importe quoi un peu partout. C’est la culture du faire, même si ce qui est fait n’est pas toujours terrible. On doit convenir qu’il y a dans cette ville une belle densité de rapins catastrophiques et de musicos approximatifs, mais quelle énergie, quel élan ; on peint un peu tout, les murs, les portes, les poteaux, les cailloux, les boîtes aux lettres. Même quand c’est moche, ça donne des couleurs au monde et du mouvement aux jours.
Or voilà que j’apprends, qu’après le truc à Pompon, Dijon prépare une exposition de Richard di Rosa. Excellente idée. Je sais pas si ça va plaire ici, mais quel bon projet. On devrait d’ailleurs aller plus loin : lui demander de créer un musée des arts modestes bourguignon, ça ferait un bien énorme, vindiou. On a déjà, enfin presque, le cadre idoine : la future Cité de la Gastronomie. Pour plusieurs raisons, il y serait parfaitement à sa place.

Ne serait-ce que parce qu’un MIAM chez Miamiam, ça aurait de la gueule. Et que dans le contexte, ça ne manquerait pas d’estomac.


 
 

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