
- Yan Pei-Ming
© Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2019.
Photographie : Marie Clérin
Yan Pei-Ming, installé dans un fauteuil club fume le cigare. Il m’accueille chaleureusement et m’invite à m’asseoir près de lui.
Le titre de son exposition dijonnaise, « L’homme qui pleure ». Choisi par l’artiste, il fait référence non pas aux pleurants qui ornent les tombeaux des Ducs de Bourgogne, mais à Yan Pei-Ming lui-même. « L’homme qui pleure, c’est moi », dit-il. Il pleure les personnes disparues, pleure sur son époque et son irrémédiable accélération, sur l’altération des relations humaines au détriment des technologies, sur la violence omniprésente, le rythme effréné qu’on nous force à adopter, sur l’instantanéité de l’information et le tout connecté. Il pleure le temps où l’on s’écrivait et celui où il pouvait penser et faire son œuvre. Yan Pei-Ming ne s’en est jamais caché, il est un peu pessimiste…
Le peintre franco-chinois Yan Pei-Ming, né à Shanghai en 1960, vit et travaille à Dijon. Diplômé de l’ENSA de Dijon en 1986, il fera en Bourgogne des rencontres décisives pour sa carrière – notamment celles de Xavier Douroux et de Franck Gautherot, les fondateurs du Consortium ou de Fabian Stech, docteur en philosophie et critique d’art.
En 1993, il est pensionnaire à la Villa Médicis à Rome, où il met en place son projet : Les 108 brigands.
Sa participation remarquée à la Biennale de Venise en 2003 le consacre sur la scène internationale. Six ans après, le Louvre l’accueille pour une confrontation avec La Joconde déclinée dans une suite de tableaux intitulée Les Funérailles de Monna Lisa. En 2019, Yan Pei-Ming rendra hommage à Gustave courbet à travers trois expositions, d’abord au Musée Courbet à Ornans, puis en octobre au Petit Palais et au Musée d’Orsay.
yanpeiming.com
Cette exposition comprenant une cinquantaine d’œuvres, se tiendra notamment dans les six nouvelles salles du rez-de-chaussée du musée. Un diptyque sera également installé dans les étages, aux côtés de la collection permanente, ainsi qu’un triptyque, hommage à sa mère récemment décédée, dans la salle des tombeaux des Ducs de Bourgogne. Rappelons qu’en 2003, Yan Pei-Ming a déjà exposé des œuvres au musée des beaux-arts de Dijon. Cette exposition s’intitulait « Fils du Dragon : Portraits chinois ».
Certaines œuvres, parmi celles qui seront exposées ne sont pas nouvelles, d’autres sont à peine sèches. C’est le cas du portrait de Xavier Douroux, directeur du Consortium, décédé en juin 2017, ami et complice de l’artiste ; ou encore de ce bouquet de fleurs tout juste terminé.
D’autres œuvres feront écho à l’histoire récente et évoqueront drames, guerres, attentats… Le 11 septembre 2001, encore et pour longtemps dans toutes les mémoires, la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, le portrait de son ami Fabian Stech assassiné au Bataclan… Le regard artistique et sensible que pose Yan Pei-Ming sur le monde.
La politique actuelle l’inspire toujours. Une série de cinq portraits d’hommes politiques appelée « Game of Power » sera également exposée au musée des beaux-arts en mai prochain. On pourra découvrir un portrait de Donald Trump, de Bachar El Hassad, de Vladimir Poutine, de Kim Jong-un et du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane Al Saoud. Cette série, considérée comme une seule et même œuvre, comprendra à terme 500 portraits. Elle sera complétée à chaque monstration. « Ce sera mon travail quotidien », ajoute t-il.
Yan Pei-Ming aime montrer ses œuvres dans des lieux patrimoniaux forts donnant une autre résonnance, un autre sens à celles-ci. Par exemple, le triptyque de Marat exposé dans l’ancienne prison Sainte-Anne en Avignon en 2014, à l’occasion de l’exposition de la collection Lambert et intitulée « La disparition des lucioles », avait spécifiquement été peint pour ce lieu. L’artiste prépare également une exposition au musée Courbet à Ornans à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet. Cette exposition ouvrira ses portes le 10 juin prochain, jour anniversaire de la naissance de Courbet . Une vingtaine d’œuvres seront exposées à cette occasion.
Mais pourquoi cet artiste à la renommée internationale travaille-t-il et vit-il à Dijon ? Paris n’offre-t-elle pas de plus belles opportunités aux artistes ? Yan Pei-Ming a souhaité installé son atelier à Dijon pour plusieurs raisons. Non seulement, parce qu’il a été élève à l’école des beaux-arts de Dijon, mais aussi, parce qu’il existe bel et bien une école de peinture bourguignonne et parce que Dijon a toujours été une des villes françaises parmi les plus actives artistiquement. La crise de la peinture semble bel et bien loin. Rappelons ce que dit Yan Pei-Ming au sujet de la peinture : « Je pense que la peinture existe pour toujours. C’est le médium le plus simple : on a juste besoin de châssis, de toile, de couleurs et de brosses. Le minimum de moyens pour le maximum d’effet ».
De nombreuses institutions comme l’ENSA Dijon, le FRAC Bourgogne, Le Consortium… œuvrent à former, à exposer et à encourager la création contemporaine nous dit-il. Il existe également d’autres structures qui participent à ce paysage artistique dense, chacun étant complémentaire et permettant de montrer des propositions artistiques diverses. Dijon est une ville avec un fort ancrage artistique qui permet d’avoir une vision d’avenir, notamment pour les jeunes étudiants, leur permettant d’accéder à des regards et des univers artistiques inédits. « C’est notamment ce qui m’a fait rester, car je peux voir des expositions, participer à des vernissages et dialoguer avec d’autres artistes », ajoute-t-il.
Selon Yan Pei-Ming, l’identité artistique contemporaine de Dijon doit s’affirmer et se développer. Ne pas avancer en ce sens serait selon lui un recul. « Aujourd’hui, il est indispensable d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’art contemporain à Dijon » conclut Yan Pei-Ming.

- September 11th 2001
2011, huile sur toile, 280 x 400 cm - © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2019.