Eté 2013
N°55Banc d’essai
par Jean Maisonnave
Les Français sont grands amateurs de saucissons. Ils en consomment pas loin de 120 000 tonnes par an, ce qui est une sorte de record. Ils tiennent ça des Gaulois, qui le tenaient eux-mêmes des Romains, qui le tenaient eux-mêmes - c’est moins sûr - des Grecs. En tout cas, la première fois que le saucisson s’énonce, c’est dans Rabelais. On doit ajouter qu’à l’époque, on nommait saucisson à peu près toutes les viandes salées qu’on embossait dans un boyau fermé, de la mortadelle au lonzu, qui n’est même pas haché. C’était un moyen de conservation et de transport.
Viande hachée et salée, donc (d’où le nom), enfermée dans un boyau en principe naturel :
le chaudin. Mais on en voit aujourd’hui qui sont fabriqués avec des collagènes, c’est moins bien. Et assaisonnée, la viande ; de sel, de poivre, de sucre (nécessaire à la fermentation) et, en principe, de salpêtre, maintenant remplacé par des sels nitrités, c’est moins bien aussi. Il ne faut les utiliser qu’en petite quantité, même s’ils donnent de la couleur et assurent le coup.
Après, toute licence aux traditions, aux régionalismes, aux initiatives personnelles, aux manipulations aussi. On peut trouver de tout dans le saucisson, c’est un garçon accueillant. Du bœuf, du mouton, du taureau, de l’âne, des noisettes, du fromage et mille autres choses propres à séduire le chaland en valorisant les supposées cultures territoriales.
Pour ce banc d’essai, nous nous sommes tenus à l’intangible classique du genre : le saucisson sec, pur porc. D’abord parce que nous estimons que c’est le meilleur, ensuite parce que c’est tout de même lui le troisième angle de la sainte trinité avec la baguette et le kil de rouge.
Il est le roi des apéros comme des impromptus, la star des casse-croûtes populaires qui encanaille aussi délicieusement les buffets circonstanciels que l’orée des repas mondains.
Saucenot rural, sauciflard populaire, salami septentrional ou chorizo exotique, qu’il soit d’Arles ou de Bologne, de Budapest ou de Salamanque, et plus œcuménique que diététique, le populaire saucisson est une des plus réjouissantes expressions de la sagesse des nations. En cette période de pique-niques et de repas copains, il était temps de lui rendre ici un hommage mesuré.
Les 10 saucissons ont été achetés la veille et l’avant-veille du test aux quatre coins de la ville et au marché central, mais toujours chez des professionnels : bouchers, charcutiers, traiteurs. Chaque fois nous avons demandé des produits "maison", tout en sachant que ce ne serait pas toujours possible, certains préférant se fournir chez des fabricants spécialisés. On en verra plus loin la pertinence. Nous avons demandé des produits "médium" afin d’obtenir des degrés de séchage à peu près homogènes. En fait, ce ne fut pas vraiment le cas.
Les échantillons ont d’abord été présentés entiers, pour un premier examen visuel : aspect (farinage ou cendrage), répartition de la farce, ficelage éventuel…
Après vive discussion entre les partisans de la tranche diaphane et les tenants du morceau, il fut décidé que chacun trancherait à sa façon, opération profondément culturelle on le sait. En Italie, on veut de la transparence par exemple, alors qu’en Espagne, on préfère les "trozos" plantureux…
Les critères retenus pour une notation sur 20 furent de 0 à 8 pour le visuel, de 0 à 12 pour la dégustation. Pas de note singulière pour l’olfaction, trop impondérable.
Puis, dégustation parfaitement anonyme et silencieuse, accompagnée exceptionnellement d’un verre de vin, blanc ou rouge au choix du client.
Ce banc d’essai s’est déroulé le jeudi 6 juin, de 10 à 12 heures, au Caveau de la Chouette, rue des Godrans, que nous remercions hautement pour l’accueil.
1 Eric Cordelet
(restaurateur)
2 Roland Surdol
(cuisinier)
3 Jean-Pierre Gabriel (Slowfood)
4 Jean Maisonnave (Bing Bang)
Ont également été testés :
Boucherie Gaveau (rue d’Auxonne) / Boucherie Gauthier (rue de Longvic) (Maison)
La Fine Fourchette (rue d’Auxonne) (Maison) / Poitrey Traiteur (rue de Jouvence) (Maison)
Maison Mitanchey (17 avenue Eiffel) (Maison)
Première remarque : nous avons eu tort de donner un si fort coefficient au visuel. L’idée, c’était que le saucisson est un produit emphatique. Mais c’était aussi donner une prime à la frime. A l’examen, l’aspect et l’odeur sont à peu près sans rapport avec l’expérience gustative. Sauf dans les cas graves. Il n’y en eut qu’un, que nous ne citerons pas, ça ferait du bruit dans le Landernau. La prochaine fois, on mettra 6 pour le visuel,
14 pour la dégustation.
Deuxième remarque : les avis des jurés ont été remarquablement concordants, à une exception près. Ce qui prouve que les habitudes ne sont pas si prégnantes. Pratiquement tous du nord, les jurés ont privilégié des saucissons du sud ou du centre. Ce qui montre l’importance du séchage après ou sans l’étuvage. Ce n’est pas un hasard si on fait de bons saucissons dans des régions où l’air est sec et où il circule, régions en général de moyenne montagne : Ardèche, Auvergne, Montagne noire, ou pour le premier, Monts du Lyonnais.
Consécutivement, il n’y a pas eu prépondérance des produits "maison". Certains pros achètent ailleurs, d’autres fabriquent du mieux possible, parfois parce qu’il le faut. La Bourgogne n’est pas la patrie du saucisson.
■ Jean Maisonnave