Avril mai juin 2010
N°42Tu as le gros défaut de ne pas être né à Dijon, mais tu y habites depuis quelques temps déjà. Tu commences à comprendre que Chenôve n’est pas Longvic, que Saint-Bénigne n’est pas Saint-Philibert.
Tu as reconsidéré ton sens des valeurs avant de comprendre qu’il était impossible qu’il y ait deux FNAC dans une agglomération de 250 000 habitants et que, en conclusion, le centre n’était pas aussi vaste que tu ne le croyais au bout de deux longues heures de marche. Tu sais qu’il y a du brouillard en hiver et qu’il fait parfois gris et chaud en été, et qu’il y a plein de plans d’eau, pas loin, qui peuvent te faire patienter avant d’aller voir si les mouettes ont toujours pied là où tu sais. Tu sais aussi que les vins ne sont, ma foi, pas mauvais et qu’il règne ici une certaine douceur de vivre pas désagréable. Tu t’acclimates.
Tu commences même à connaître des autochtones et ils s’habituent à toi. Ils te parlent, s’aperçoivent que tu n’es pas que parisien et que tu peux même être sympathique. Et un jour, un grand jour, un dijonnais t’emmène quelque part (à la gare, chez Carrefour ou même à Beaune). Tu es adopté !
Et là commence l’aventure la plus bizarre de ta vie. Le dijonnais bifurque brusquement du trajet rectiligne que tu crois, pauvre innocent, qu’il va prendre. Et tu découvres des endroits que tu ne connaissais pas. Des maisons calmes, des collines, des pruniers, des jardins, des immeubles pleins d’étages, des sculptures étranges, des ronds points et personne nulle part. Tu évalues que tu as fait pas mal de kilomètres, mais que la voiture ne s’est jamais arrêtée qu’à des stop.
Tu finis par arriver, tu ne sais comment, à destination. Tu es désorienté.
Et là, le dijonnais se tourne vers toi avec un air extrêmement fier et te dis : « tu es arrivé. Tu as vu ? On a évité 4 feux. Tu te souviendras du chemin ? » Il t’a fait son plus beau cadeau : son itinéraire secret qui évite les 4 feux d’enfer, car pour un dijonnais, 4 voitures à la queu-leu-leu, c’est un embouteillage.
Et tu restes là, ahuri mais reconnaissant, presque pas en retard avec ton premier rituel de dijonnais en tête : ton premier trajet dijonnais anti-feux.
Prochain numéro : le rituel du marché
Carla Garfield