
C’était en 2013, on amorçait le centenaire de cette Première Guerre et le dessinateur DB (Bontemps Didier) voulait dessiner et raconter en BD ces pauvres types qu’on avait envoyés au casse-pipe, le sang versé, les vies brisées, les tranchées, aussi la boue, et la folie, meurtrière…, et puis les fraternisations. Mais d’autres l’avaient déjà fait, et bien fait, Jacques Tardi en particulier.
A cette époque, il relisait des choses sur « Dada », mouvement artistique né au Cabaret Voltaire à Zurich en 1916, DADA - appellation saugrenue et potache -, Dada, un mot tiré au hasard dans un dictionnaire, Dada et ses protagonistes, les da-da-ïs-tes, une Internationale d’artistes, anarchistes souvent, réfractaires, apatrides, anti-guerres, des gens infréquentables… Dada tout droit sorti du terreau des tranchées, de cette saleté de guerre, de cette boucherie. Zurich était le refuge de ces exilés, pacifistes.
Tout s’emboîtait, logiquement : bien plus qu’en filigrane, il parlerait de Dada. Dada, résolument moderne et créatif, et carrément foutraque.
Dada qui déconstruisait tout, prônait la confusion, le doute, mais aussi la joie de vivre, la spontanéité,… Un pied-de-nez, un immense éclat de rire, une cure de jouvence que Dada.
Il rendrait hommage (un mot qu’ils auraient à coup sûr vomi, honni, détesté !) à ces artistes, ces agités du bocal, zinzins-cinglés qui s’étaient essayés à de nouvelles pratiques plastiques-tiques-iques, le frottage, le collage, le photomontage, les ready-made, la désagrégation du langage, la provoc’ permanente, costumes et danses grotesques, concerts de bruits, scansion de mots assemblés sans sens aucun ni aucun sens… Oui, Dada était l’art du no sense absolu, mais aussi et surtout une riposte à une situation sociale et politique envasée, un NO FUTURE.
Pour tout ça, il parlerait d’eux. Et puis, il y avait Schwitters, Kurt de son prénom, cet artiste allemand, méconnu en France, inventif, fascinant, Kurt Schwitters de Hannover et son « chef-d’oeuvre », le « Merzbau », architecture invraisemblable, faite de détritus amoncelés, décadente (?), utopiste (?), du jamais-vu, ça non jamais.
Voilà comment Zurihanis a germé Germaine m’a-t-il dit ! Zurihanis, contraction de ZURIch, foyer du dadaïsme, HANnover et parIS capitale artistique à l’époque, et hautement cosmopolite !
Zurihanis, ville rêvée, emplie d’artistes, de noctambules, qui réinventent chaque nuit un monde pour demain, et demain c’est bien connu, qu’est-ce qu’on s’en fout, demain c’est loin ! Zurihanis, la ville qui, à l’instar du Merzbau de Schwitters, vit, bouge, s’étend, mute, s’étire tentaculairement, vers qui, vers quoi ? Zurihanis, délire architectural, utopie, Zurihanis, métaphore de nouveaux possibles, Zurihanis, comme une aube prometteuse.
Zurihanis existe dans un espace-temps inconnu de nous, quelque part dans la 36 ème dimension, et peut-être même un peu plus à l’ouest que ça. C’est Phil Cargo, cet anti-héros déjà rencontré dans un précédent album, « Le Dossier Ronsillac », qui nous ouvre les portes de ce lointain-là. Phil Cargo, parti visiter son amie Maya, et qui, au « Chemin des Dames » (décidément, comme a dit le poète, « tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom ) et à la suite d’une chute, se retrouve propulsé, marche arrière toute, en 1914 dans les tranchées. Les temps s’entrecroisent, s’interfèrent. Un premier temps au présent, un autre, conjugué au passé -celui des tranchées-, un troisième enfin à inventer, si possible au plus que parfait (!!!), le temps improbable de Zurihanis où Phil, dans un coma profond, va s’insérer par le biais du fantasque Noc, qui l’entraîne vers cette ville rêvée (mais où commence le rêve et où s’achève la réalité, y a-t-il même une frontière ?) peuplée de cabarets, d’artistes, réels et fictifs, déraisonnables, et puis cyniques, désespérés, farceurs aussi, provocateurs et allumés.
■ Zurihanis est publié
aux éditions YIL.
En vente dans toutes les bonnes librairies. Et en dédicace au Salon de la BD de Semur les 13 et 14 avril.