été 2012
N°51Carla Garfield
L’autre jour, avec une jeune collègue, nous patientions dans le hall de notre chaîne de télé régionale - pas la locale. En un quart d’heure, nous avons vu passer une quinzaine de personnes, visiblement pas du coin, qui nous ont toutes saluées d’un "bonjour" poli. Nous nous sommes regardées, un peu inquiètes, nous demandant où nous étions tombées. Une fois revenues sur terre, prises dans cette atmosphère positive et agréable, nous avons salué d’un grand "bonjour" une dame qui passait devant notre bureau. Elle nous a regardées de travers en se demandant où elle était tombée. Nous avions juste oublié un moment que Dijon faisait partie des villes où on ne dit pas bonjour aux gens qu’on ne connaît pas. C’est comme ça. On finit par s’y faire et même faire pareil. L’autre grand sport consiste à ne pas "reconnaître" vos connaissances quand elles surgissent devant vous. C’est facile. Vous mettez des lunettes de soleil, votre raie de l’autre côté ou un serre-tête pour vous rendre méconnaissable ; vous pouvez également tapoter furieusement sur votre téléphone ou vous plonger dans une conversation captivante avec ce même outil du diable. La meilleure technique consiste à regarder un endroit intriguant sur le côté, à l’opposé de la personne que vous ne voulez pas voir, de manière à tourner la tête de façon crédible : une pierre, une borne, un arbre, un escargot ou un bout de mur. C’est un métier. Selon l’endroit, c’est plus ou moins méritoire. Au marché, on peut penser que vous parlez à un commerçant ou que vous admirez les grattons (beurque). Sur un trottoir, à un mètre de distance, c’est beaucoup plus subtil et, il faut l’avouer, assez jouissif. Bien évidemment, vous croiserez cette personne plus tard de manière plus officielle et là, vous redeviendrez civilisés. Vous serez obligés de tenir compte de son existence et lui faire un grand sourire crispé ou sincèrement ravi, au choix. Car oui, il existe aussi des gens étourdis, ou simplement myopes, c’est pour ça que ce n’est pas simple à évaluer – je sais de quoi je parle, j’en ai traumatisé plus d’un. La contre-attaque ? Y aller franco, rester droit dans ses bottes et se manifester ; ou alors faire pareil, ce qui a parfois ses avantages. Et on peut aussi s’en moquer et importer ses moeurs empathiques, ce qui crée des petits moments de convivialité bien agréables dans cette si jolie petite ville...
Carla Garfield