50 nuances de vert
« Je préviens Anne Vignot… Madame la Maire », rectifie la dame à l’accueil. Bon enfant, l’atmosphère. Du coup, je sais déjà comment m’adresser à elle : « Bonjour madame la Maire ! » c’est la formule qu’emploierait Pierre Bonte aujourd’hui. J’évoque cette émission mythique des années 60-70 sur Europe 1 où le journaliste interviewait chaque matin le maire d’une commune rurale française.
D’entrée, Anne Vignot ne ressemble pas à l’idée qu’on se faisait d’elle à la lecture d’interviews un peu rudes données dans la presse quotidienne au lendemain de son élection surprise.
Rapports tendus avec le maire de Dijon, ville qu’elle avait qualifié de « très joli territoire, mais comparé aux grandes métropoles, ce n’est qu’un petit territoire ». En fait, ce n’était pas une critique. Anne Vignot est géographe de métier, elle voit le monde autrement.
Quand on lui signale qu’on avait dessiné dans un précédent numéro l’esquisse de la mégalopole la plus verte de France, rassemblant Dijon, Besançon et les territoires au milieu, elle sourit.
L’alliance des territoires, ce sera le combat à mener pour les années à venir. On ne reviendra pas sur la vision de Besançon qu’a le maire de Dijon, une ville assiégée, à la Vauban, encerclée par les forêts.
Anne Vignot est d’accord avec François Rebsamen au moins sur un point : « Besançon, c’est différent de Dijon, il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable. Dijon est dans un rapport urbain-urbain avec ses voisines, à Besançon, on a l’avantage de la nature, une forme de ruralité ».
« La ville est inscrite dans le vivant. La capitale de la Franche-Comté a un lien fort avec Belfort, Montbéliard, Dole, Pontarlier, Vesoul. Ce que Dijon n’a pas avec le reste de la Bourgogne. Ni même de la Côte d’Or. On sourit à notre tour, on a compris la leçon de géographie politique.
Etre élue n’était pas une ambition personnelle pour Anne Vignot. On le croit. Son langage est inédit. En fait, c’est celui d’une chercheuse qui scrute la ville et la vie qui bouillonne autour d’elle.
Elle a travaillé dans des laboratoires de recherche intéressés par l’aménagement du territoire, avant de prendre la direction du Jardin botanique de Besançon et de devenir la présidente du Conservatoire d’histoire naturelle.
Poussée par le courant vert, Anne Vignot est devenue adjointe de Jean-Louis Fousseret, ancien éléphant du PS qui s’était mis en marche derrière Emmanuel Macron, ce qui avait accentué un peu plus l’écart avec Dijon, les deux maires, qu’on avait pacsé un peu vite, ayant vite divorcé.
Plus que le combat électoral, désormais terminé, ce qui est intéressant, c’est de chercher à comprendre ce qui se joue aujourd’hui à la mairie. Ici, le rôle des adjoints semble différent, ils vont devoir travailler ensemble sur le terrain, quitte à laisser la direction des opérations à l’élu de quartier qui connait le mieux son affaire. Anne Vignot veut qu’ils « fassent participer les citoyens dans tout ce qu’ils entreprennent ». Une nouveauté qui fait sourire les Dijonnais que nous sommes, peu habitués à entendre jusqu’à présent ce genre de discours.
Ce qui rassemble l’équipe, très disparate au niveau des âges, des styles, des modes de vie, réunie autour d’elle ? L’urgence climatique, mais aussi l’urgence sociale ». Transformer le modèle de société sera le fil conducteur de toute l’action de la municipalité.
Anne Vignot ne craint pas d’affronter des situations complexes avec des mots qui ne sont pas ceux qu’on entend d’habitude : conscientisation au lieu de sensibilisation (plus fort), faire territoire au lieu de gestion de la ville, etc
Des formules qui rappellent l’universitaire derrière l’élue : « on désenclave, on interconnecte, on fait système pour reconnecter l’éducation nationale avec les familles ». À Planoise, comme ailleurs, un travail va être mené autour des écoles : « la famille doit faire des choix ». Quand on voit ce qui s’est passé avec les caricatures de Mahomet, on souhaite bon courage à l’équipe pour trouver les mots justes.
« Il ne faut pas avoir peur des gens, surtout de ceux qui se sont éloignés de nous. L’objectif de la nouvelle équipe est de transformer la ville sur le plan social, économique et écologique. » Madame la maire est bien vue par la jeunesse et ne minore pas le nombre d’abstentionnistes aux dernières élections, à Besançon comme partout. Elle veut que la jeunesse lui vote sa confiance, la prochaine fois.
Pour cette femme qui a pas mal bourlingué au Moyen-Orient, la question du « vivre ensemble » n’est pas qu’un mot à la mode. Comment on peut vivre ensemble quand on n’a pas les mêmes codes, elle a vu ce que cela donnait, sur un terrain parfois miné.
On a parlé voyage, anthropologie avant de revenir sur cette ville étrange, presque étrangère, que reste Besançon aux yeux d’un Dijonnais. Une ville dont le centre est très minéral – « le FRAC a été le premier bâtiment à rétablir le bois » - mais qui a pour elle l’eau, bien sûr, et une certaine luminosité aussi.
La fiche d’identité bisontine ? Microtechnique, d’abord. Montre bien sûr, lien entre le passé et le futur.
On n’ira pas plus loin dans la découverte, Madame le maire est très attendue, on s’impatiente dans le couloir. Comme la porte est ouverte, on entend tout. Pas de stress pour autant. « Anne ton rendez-vous suivant t’attend ». On file, sourire aux lèvres. À la prochaine. ■ GB