
Dans bien des domaines Besançon s’est révélée être une ville pionnière (comme lorsqu’elle a inventé le RMI).
A l’autre bout de la salle, une femme en robe blanche trépigne dans l’encadrement de la porte.
Jean-Louis Fousseret 3.4 (JLF 3.4), la version clonée de l’édile de Besançon (depuis qu’il a pris sa retraite sous le soleil de la côte écossaise, on n’en a pas trouvé de meilleur), invite poliment mariés, entourage et journalistes à libérer les lieux. Il fait signe à la femme en blanc accompagnée des siens de prendre place. « Tout le monde est installé… Nous allons débuter » lâche M. le Maire tout en adressant un signe de tête en direction de l’un de ses agents. Ce dernier tapote fébrilement sur une console, la salle se transforme en véritable forêt vierge. Nous voilà plongés au cœur de l’Amazonie, une chaleur moite alourdit peu à peu l’atmosphère, une cascade se met à couler en arrière-plan, une douce fraîcheur vient caresser nos visages. Ouf !
A côté de la femme en blanc, un hologramme apparaît. Momifié dans son costume trois pièces bleu nuit, l’homme semble très ému. Le marié visiblement.
JLF 3.4 l’interpelle « Vous m’entendez jeune homme ? (l’hologramme fait oui de la tête) Très bien, avant toute chose, je voudrais rappeler à l’assistance qu’en 2010, lorsque j’ai pris le pari de faire de Besançon la capitale française de l’innovation numérique, certaines personnes condescendantes me disaient oui-oui, sous-entendu, pourquoi ne pas faire de Dijon l’épicentre de l’anticonformisme. Aujourd’hui, avec Paris et Palo Alto, nous sommes les seuls à disposer d’une salle de mariage virtuelle. Au moment où je vous parle, le futur marié se trouve à Rio de Janeiro. » L’assistance lâche un wahouuu collégial.
Tu veux être mon époux ? OUI. Tu souhaites être mon épouse ? OUI. Bisous virtuels. Larmes réelles. 15 min passent. Les mariés sont… mariés !
Peu à peu la forêt se vide. La foule s’amasse autour de la Bentley décapotable décorée pour l’occasion. A l‘avant un chauffeur, à l’arrière la femme en blanc prend place SEULE sur la banquette. Visiblement c’est le plus beau jour de sa vie.
Sur le perron de la salle de mariage JLF 3.4 contemple la scène d’un regard amusé.
« Drôle d’époque » souffle-t-il avant de grimper sur son overboard et de filer à travers la cour de l’hôtel de ville pour regagner son bureau.
Il ouvre la porte. Un monticule de parapheurs masque la grande table de réunion. Depuis juin 2020, l’humanité a décidé d’étirer la durée des jours de 24 à 32h (les hommes se sont persuadés qu’ils avaient besoin de travailler plus pour gagner plus). Chaque mois, ils sont des milliers à lui écrire de Genève, Lyon, Paris ou Dijon. Toujours la même question, peut-il leur trouver un logement même à plus de 50 km de Besançon ? Tous n’ont qu’un désir, poser leurs valises dans le nouvel eldorado : la Silicone Comté. La conquête de l’Ouest a fait place à la conquête de l’Est.
Seul dans son fauteuil, JLF 3.4 regarde la vieille affiche épinglée en face de son bureau.
Sur le bleu intense, le slogan est volontairement simple et efficace : « LA MAÎTRISE DE L’ÉNERGIE A UN PRIX, BESANÇON EN A DEUX ! » Vestige d’une campagne de communication datant d’avril 2017 où la ville se vantait pour la première fois en parlant de ses talents (voir ci-contre).
27 heures et 15 minutes passées. Il est temps pour M. le Maire de rentrer chez lui.
Avant de passer la porte, sa main vient caresser l’affiche, un sourire sabre son visage. Il a une nouvelle idée. Envoyer une équipe d’élite de la municipalité sur Mars pour bâtir Vesontio, la première ville de la planète rouge. Décidément, personne n’arrêtera la folle marche bisontine. ■