Printemps 2019
N°78par David Liot,
Directeur des musées de Dijon
Qui aurait cru en 1969 que le palais médiéval et classique des ducs et des Etats de Bourgogne verrait surgir dans son parcours permanent la Vache-paysage de Samuel Buri (vers 1971) ou la Véloterie du père Gaston de Gérard Pascual ( 1975)… ? Deux œuvres singulières et humoristiques qui sont bien loin des sévères beaux-arts et de leur façade officielle, place de la Sainte Chapelle, encadrées des allégories de la peinture et de la sculpture…
Et oui, c’est donc dans l’un des plus anciens musées de France, le digne représentant du siècle des Lumières, que Pierre et Kathleen Granville décidèrent de donner plus de 1000 peintures, sculptures et objets à la ville de Dijon grâce à l’intercession de Jacques Thuillier, qui alors était professeur à l’université de Bourgogne et déjà un historien de l’art unanimement reconnu. Remercions-le vivement, ainsi que Pierre Quarré, conservateur à cette époque, qui avait conscience que la collection dijonnaise, endormie sur les lauriers des siècles passés, méritait un électrochoc...
Certes, entre logis ducal, tours médiévales et extensions des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, le musée est une machine à remonter le temps sur près de 50 salles et 4200 m². Près de six siècles d’architecture sont aujourd’hui porteurs d’imaginaire et d’émotion. Cette vénérable institution n’est pas sans surprise… C’est un musée dans le musée qui est à découvrir – le fruit du goût et des amitiés de Pierre Granville, avec des espaces inattendus d’art moderne et maintenant ouverts à l’art contemporain. Un quart des espaces permanents rénovés - soit près de neuf salles - est concerné. Ce qui est très important.
Entre ses murs majestueux et imposants, le visiteur découvrira l’art de vivre du temps des ducs, notamment leur gastronomie, grâce aux cuisines ducales de Philippe le Bon. Il saluera bien évidemment les élèves de l’Ecole de dessin de Devosge, parfois de retour de leur séjour à Rome, et les remerciera d’avoir constitué la première collection dès la fin du XVIIIe siècle. Enfin, il rencontrera les Granville et s’immergera dans un XXe siècle insoupçonné et improbable, au cœur même de la cité des ducs. Oui, Dijon est l’une des rares villes françaises à posséder des dizaines d’œuvres de Maria-Helena Vieira da Silva, Arpad Szenes, Nicolas de Staël ou Charles Lapicque…. Des peintures représentatives de l’École de Paris, éclatantes de matières, de touches et de couleurs vibrantes. Leurs artistes étaient sensibles aux villes mystérieuses et magiques. Leurs démarches dialoguent avec l’aura de Dijon !
Ouvrir le musée au cœur urbain de Dijon est une évidence qui a été étudiée et mise en œuvre par l’architecte Yves Lion depuis 2005. Le toit doré qu’il a créé, première entrée du musée en 2013, est un geste contemporain et élégant qui fonctionne naturellement avec la cour de Bar et sa tour impressionnante. Ouvrir aussi le musée à la rue et à ses flâneurs s’est vite imposé. La création d’espaces d’art moderne et contemporain, installés dès le rez-de-chaussée et à proximité de l’accueil, a révélé la nécessité d’un signal fort destiné à contrebalancer le poids de l’histoire ducale et royale. D’emblée les passants de la rue Rameau, ceux des cours et rues récemment piétonnisées, distingueront à travers les fenêtres du musée des œuvres contemporaines. Celles notamment de Yan Pei-Ming dans le cadre de son exposition L’Homme qui pleure.
Grâce au dépôt d’une peinture inestimable de la fondation Gandur, Pierre Soulages entre dans la collection. Ce qui est exceptionnel et complémentaire. De même, le peintre expressionniste Yan Pei-Ming inscrira clairement notre musée dans le XXIe siècle. Ce qui est logique car il réside à Dijon et est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de Dijon, dont l’origine remonte à l’Ecole de dessin de Devosge et au Museum soutenu par les Etats. A Dijon, l’école et le musée sont intrinsèquement liés. La salle qui lui sera dédiée rappellera qu’un musée des arts ne peut exister sans les artistes vivants. Yan Pei-Ming est un artiste reconnu sur un plan international, sensible à l’histoire de l’art, à l’histoire contemporaine et à ses drames planétaires.
Avec la restructuration récente d’Yves Lion, le palais des ducs et des Etats de Bourgogne est un quartier à lui tout seul, l’épicentre aujourd’hui d’un centre-ville ouvert à l’urbanisme contemporain, depuis 2006, grâce à Jean-Michel Wilmotte et sa place de la Libération. Comme les cathédrales du nord de la France, le palais et son musée structurent la ville et l’ouvrent résolument au présent.
De l’époque médiévale à nos jours, le musée est un résumé harmonieux d’histoire, de culture et de contemporanéité : l’un des jalons incontournables, avant même la Révolution française, de l’histoire internationale des musées. ■