été 2015
N°63Je ne sais que penser de cette affaire. Était-il nécessaire que Bourgogne et Franche-Comté soient fondues ? Fallait-il absolument que nous allassions tremper notre aloyau dans le mamirolle ?
Je sais. Ce ne sont que retrouvailles. Nous fûmes tous bourguignons, assez longtemps même. Et tous burgondes auparavant, mais plus ou moins. Nous autres descendions d’un peuple conquérant. Les Séquanes, non, ils descendaient seulement de leurs montagnes. De nos conquérants (vaguement polonais), il ne restait que les meilleurs : les pires avaient été expédiés manu militari par les Romains jusqu’en Angleterre1, alors nommée Bretagne, où on voit ce que ça a donné, regardez Cameron. Tandis que les Séquanes étaient des Francs ; des Francs suisses peut-être, mais à cette époque, ceux-ci ne valaient pas plus cher que les autres.
Puis il y eut séparation, duché d’un côté, comté de l’autre. Côté comté, ce fut une longue histoire d’annexions et de mariages, où l’on voit bien que, bonnes ou pas, les comtesses firent rarement les bons amis. C’est ainsi que la Franche-Comté fut un peu allemande, un peu flamande, un peu autrichienne, un peu espagnole, mais jamais rien de net ; elle fut même partiellement et brièvement anglaise, suédoise et… suisse. D’où sachons-le, l’invention du mot « suicide » : l’ambiance était tellement mortelle que les Comtois préféraient disparaître, créant de sérieux problèmes démographiques.
Laetificat, et ta soeur !
Il n’y a pas que l’histoire, il y a aussi la culture. Lors de récentes agapes supposées célébrer la nouvelle fusion, le président bourguignon, croyant leur faire hommage, accueillit ses hôtes en vieux comtois2 : « Toutes les djens nâchont pairies po yote canca. » (trad. : nous sommes tous égaux devant la cancoillotte). Il ne fit que provoquer cette remarque désobligeante de son homologue, latiniste quoique comtoise : « Bonum vinum laetificat cor patris » (en vf : il en tient déjà une bonne, le Patriat !).
Humiliation. Surtout venant de gens qui ignorent l’orthographe au point de fauter sur leur propre nom. Franche Comté ! Franc Comté, d’accord. Franche Comtée, à la rigueur. Mais Franche Comté, nenni ma foi. On est en devoir de redouter que ce mauvais accord, gravement féodal, n’annonce de plus graves barbarismes.
On nous fait par ailleurs tout un fromage avec Victor Hugo (pour les fromages, ça, ils sont doués). Rappelons que Victor Hugo naquit à Besançon par le plus grand des hasards et qu’il s’en échappa, étant encore au biberon. Cadet Rousselle, pareil ;
il fut plus bourguignon que comtois. Rouget de l’Isle n’a pas laissé grand chose ; Nicolas Ledoux, lui, n’était pas de là. Michel Ange non plus, Lao Tseu encore moins. Reste Courbet, le peintre. Certes. Mais reconnaissons qu’il est bien difficile d’entrer dans sa conception du monde originel. Quant à Pasteur, c’est tout de même à cause de lui qu’on ne trouve presque plus de fromage au lait cru.
Et si on en vient à la géographie, on y trouvera d’autres motifs de doute. La Bourgogne, par exemple, compte quatre départements. Centrifuges mais plantureux. Contre trois pour la Franche-Comté. Car on ne peut décemment nommer département un territoire (dit de Belfort) qui parvient de justesse à faire le tour des usines Peugeot, le surplus se considérant depuis toujours comme moitié alsacien. Encore pourrait-t’on gloser sur la Haute-Saône, dont le principal attrait, avec le chocolatier de Vesoul3, est d’être le département le moins peuplé de France4.
Parlons justement de Peugeot. Si la Franche-Comté est la première région industrielle de France -par rapport à sa population-, elle le doit en effet à ce fabricant de moulin à café un peu monté en graine. Mais c’est l’arbre qui cache que, derrière, il n’y a que la forêt, ou à peu près. On objectera : et l’horlogerie. Sans doute. Mais, tout bien considéré, c’est moins une industrie qu’une manière de faire passer le temps ; tout comme la pipe de Saint-Claude remise au goût du jour par un amuseur télévisuel inspiré.
Ne souhaitant heurter personne, on n’accumulera pas les exemples de flagrantes inégalités ; mais on devrait. Car ils consolideraient le scepticisme atavique du Bourguignon profond, déjà choqué de voir qu’on met là-bas du vin jaune et des morilles dans le coq au vin, juste pour faire les malins, alors que c’est tellement meilleur avec des lardons et du kiravi5.
Rien n’est perdu (nulla missa ouest)
Heureusement, on n’est sûr de rien,même pas du pire ; et moins encore après avoir entendu la présidente Guiguite, exaltant non sans intempérance l’idylle bourguigno-comtoise, achever son discours et le repas par la célèbre formule maritale des épousées romaines : « Ubi Tu Fondus, Ibis ego Fonda » (« Finis ta fondue et rentrons à l’hôtel »). Voulant se rattraper après la gaffe de tout-à-l’heure, notre président lui glissa in partibus dans l’oreille, écorchant légèrement l’ecclésiaste : « Durex in terra hominibus voluntatis » (trad. : « Je vais chercher les capotes et on se retrouve au minibus »).
Ah ! vous avez enfin compris :
Cette anecdote montre définitivement, au-delà des propriétés nocives du Savagnin, que cette union restera sans postérité. Et si vous me permettez la saillie : heureusement qu’elle ne donnera rien ; car elle pourrait prêter à rire.6
Accessoirement, à l’heure où il est question de supprimer le latin à l’école -alors qu’on peut très bien le perdre sans l’avoir étudié- on voit ici combien il est nécessaire à la compréhension de l’histoire des hommes.
Ite missa est, peut-être, mais pas à l’ouest. ■
1- Dixit l’historien Zozime
2- Avatar, comme on sait, de l’arpitan septentrional
3- Exact
4- Antépénultième en vérité y’a mieux
5- Et surtout pas du chambertin ; ça n’impressionne plus que les très rares touristes nord-coréens
6- Hommage à Tristan Bernard, bisontin