Hiver 2019/20
N°81Fin de l’année ducale. 1419-2019, on n’allait pas manquer ça. Retour sur une interview exclusive accordée à Bing Bang par Le Bon, Le Hardi, le Téméraire et même le Sans Peur, qui n’avait pas aimé qu’on traite sa mort à la légère, dans Bing Bang (c’est son meurtre que nous avions célébré !). Une rencontre dans le bureau du duc actuel pour parler du vin de Bourgogne, celui qui nous lie et délie les langues, mais aussi de certains secrets d’alcôve.
C’est le fantôme du duc Philippe le Bon qu’on avait repéré en premier, dans la foule des grands jours réunie le 17 mai au soir devant les portes encore closes du musée. Des quatre, c’était le seul que les édiles du XXIème siècle avaient invité à suivre la visite. Les autres continuaient de faire la gueule dans leur cadre, forcément.
Il était facile à reconnaître. Tout en noir. Un noir profond, presque nocturne, qu’il n’avait cessé de porter depuis 600 ans, depuis ce mois de septembre 1419 où on lui avait annoncé la mort de son père, trucidé sur le pont de Montereau. Une couleur originale pour un fantôme. C’est à lui et à son fils qu’on devait cette mode qui depuis a fait fureur dans certains conseils d’administration, et jusque dans les lieux les plus secrets du pouvoir, partout dans le monde.
Ce soir-là, on a pas mal bu, avec les ducs. Pour une fois qu’on les tenait tous les quatre ! Déjà, au Moyen-Âge, on ne les voyait pas beaucoup, à Dijon, là il fallait sauter sur l’occasion.
Les trois autres entretemps avaient rappliqué dans ce qui avait été autrefois leurs appartements, et était devenu aujourd’hui le bureau du duc actuel. Comme il était parti fêter l’évènement au dehors, on en a profité.
Le Hardi avait troqué sa marguerite pour un autre pichet de ce vin de Bourgogne qu’il affectionnait, et dont il avait été le premier à faire la promotion, en Flandre. Ce vin qui dormait autrefois dans des sous-sols transformés depuis pour accueillir la chaudière du musée. Heureusement, ce n’est pas à un fantôme qu’on peut longtemps cacher la cave secrète où leurs descendants (politiquement parlant) gardent quelques splendeurs.
Pour les ducs de Bourgogne, le vin était une arme diplomatique redoutable. Ils faisaient déjà trinquer le monde à la santé de la Bourgogne, dit-on toujours sur la côte, lors de soirées bien arrosées !
Dans toutes les négociations, dans tous ses déplacements, Philippe le Hardi se faisait accompagner de convois de vins, offerts lors des banquets. Grand propriétaire, il se préoccupait de la qualité. En 1395, il fit arracher et interdire les cépages de gamay au profit du célèbre pinot noir.
C’était la première fois en France que l’on obligeait à produire le vin d’un terroir avec un cépage bien déterminé. L’ancêtre de l’appellation d’origine contrôlée était né. Depuis, le gamay a pris sa revanche, un peu plus au sud, puisqu’il fut bouté vers les coteaux du Beaujolais… du moins en grande partie.
Le Téméraire nous écoutait parler « en vin » sans rien dire. Lui, le vin, il le coupait d’eau. Il a préféré nous parler des romans d’aventure que son précepteur lui lisait, étant gamin. >>>
Le plus rétif, ce fut Jean sans Peur, il se doutait qu’on allait revenir sur un meurtre qui avait fait la Une des gazettes de l’époque (pour en savoir plus, allez voir l’expo que les Archives départementales lui consacrent, cet hiver).
Ou alors, JSP faisait la tronche parce qu’il aurait préféré une bonne bière. Ce n’est peut-être pas seulement une histoire de femme qui l’opposa au duc d’Orléans. Tandis que ce dernier avait choisi un bâton noueux pour emblème, Jean sans Peur avait pris le rabot pour justifier sa devise : Ich Oud (en VF : « je le tiens »). Rabot qui a donné son nom à une rue piétonne, en face du palais, on l’oublie parfois.
La présence d’une feuille de houblon, tout à côté du rabot, rappelle que la bière coulait à flot, déjà. D’où la traduction suggérée par un trublion actuel : « j’en tiens une bonne ».
Et puisqu’on en parle, savez-vous que le nom de bière remonte en fait à cette époque ? En effet, comme son père l’avait fait avec le vin, Jean sans Peur prit des mesures pour contrôler la fabrication de la bière en Flandres, jusqu’alors faite généralement à base de blé ou d’épeautre, qu’on aromatisait avec du miel ou de la cannelle. Jean-sans-Peur imposa l’usage du houblon, dont il avait fait son emblème et il fonda même un ordre du houblon !
Le vin aidant, des ducs qui ne se parlaient plus depuis des siècles, comme Philippe le Bon et son Téméraire de fils, ont renoué le contact. La discussion a dégénéré quand on est passé au drame poignant qui allait clore la saga. On a senti un froid entre les participants lorsqu’il fallut évoquer la mort du Téméraire, un petit matin d’hiver, aux portes de Nancy.
Une fin cruelle qui allait entraîner celle du rêve de nos Grands ducs d’Occident… The Big Four, plaisanta Le Téméraire, le seul qui parlait anglais.
C’est certainement pour ça qu’un petit malin, en face du palais, a voulu lancer un burger à son nom, à base de viande charolaise (il était duc de Charolais, le Charles, on le rappelle aussi). Il aurait pu l’appeler « Mon Duc », puisqu’une célèbre marque l’avait empêché de mettre deux autres lettres derrière le M. Ou alors, fallait le faire au canard, mais là, on nageait en eaux troubles.
My duck is so good, on aurait aimé entendre ça…
Le commerce du vin était important à l’époque de Philippe le Bon. Mais les vignerons perdent peu à peu le rôle politique qui leur était jadis dévolu, ce qui ne va pas sans les mécontenter, même si leur vin demeure la grande richesse de la ville.
La vigne fait travailler le quart de la population. Une classe turbulente, toujours à la pointe du combat politique et des revendications, qui finit par travailler notamment pour la noblesse de robe – composée de riches parlementaires anoblis - dans les pressoirs installés au sein même de leurs hôtels particuliers.
Mais il fallut attendre la révolte du Lanturlu, quelques décennies plus tard, pour que les « culs bleus » (comme on appelait les vignerons) descendent dans la rue. Ils s’en prirent aux envoyés du roi et aux bons bourgeois d’alors, qu’ils conseillèrent « d’aller se faire faire », traduction approximative du terme « lanturlu ». Les intéressés, qui n’avaient pas d’humour, firent tout pour ramener le calme très vite.
On a senti qu’il était temps de conclure, les ducs avaient envie de retourner se percher dans leur cadre. Ils tenaient à avoir fière allure pour accueillir les visiteurs le lendemain.
Le Téméraire avait déniché - dans l’arrière-cuisine du maire, dans les recoins où s’entassaient des bouquins à la gloire de la Ville - les traces de ce qui faisait son quotidien quand il venait jouer là gamin. Il avait été faire auparavant un tour dans les caves pour voir s’il pouvait trouver du vin en tonneau et il était remonté furieux : l’anneau qui retenait les tonneaux descendus à la cave, les dessins maladroits de cruches, les traces d’écriture médiévale qu’il avait retrouvées, il y a quelques années, lors d’un de ses précédents passages, avaient disparu sous la peinture…
Il était en train de nous parler des grandes chambres d’autrefois, du logis de la duchesse qui était au-dessus de celui du duc, de l’accès des musiciens qui se faisait par une tribune n’ayant rien à voir avec celle que l’on retrouve dans la salle des tombeaux, lorsque le duc actuel est arrivé.
Ce qu’il y a de bien, avec François le Tenace, c’est que rien ne l’étonne jamais. Il a fait comme si on était en conversation avec un comédien, et parlé cinéma avec Philippe le Bon, les trois autres ayant disparu par une vitre donnant sur la salle des tombeaux. Quand on lui a dit qu’on était venu interviewer les ducs en vue d’un ouvrage sur Dijon et la Bourgogne à leur époque, il n’a pas trouvé ça étrange de notre part.
En 20 ans, il en avait vu (et lu) d’autres, de notre part. Il a juste suggéré de faire une préface. Vous devriez la trouver en ouverture d’Objectif Ducs, un livre tout en maux et en images, qui devrait être dans toutes les bonnes librairies cet hiver. On a failli l’appeler « le Bontemps des Ducs », puisque c’était Didier Bontemps qui l’avait illustré, mais on avait trouvé déjà pire, comme titre. À nos risques et périls. ■ Gérard Bouchu
Beaucoup passent devant les Archives départementales (le bâtiment que l’on aperçoit au loin, depuis la rue de la Chouette) sans se douter que ce lieu de mémoire est lui aussi hanté, la nuit, par les fantômes de tous ceux dont le souvenir est perpétué à travers des pièces aussi diverses que des traités, de paix ou de mariage, des documents comptables, des sceaux... Jusqu’au 3 avril, l’exposition Jean sans Peur (1419-2019) présente une vingtaine de documents issus des fonds conservés dans le service et notamment des lettres échangées avec le dauphin de France ou l’héritier d’Angleterre, des illustrations issues de tableaux et d’enluminures ou encore le moulage du crâne du prince lui-même.
L’exposition entend donner une présentation générale du deuxième duc de Bourgogne de la maison de Valois, à l’occasion des 600 ans de sa disparition. C’est sa place dans le royaume de France et dans le duché de Bourgogne qui est abordée et illustrée par quelques événements marquants de sa vie comme la croisade de Nicopolis en 1396, l’assassinat de Louis d’Orléans, frère du roi, en 1407, dont il est l’instigateur (le pire, c’est qu’il ne s’en est même pas caché !), ou sa propre mort sur le pont de Montereau en 1419 (il l’avait un peu cherchée !). Quelques documents plus récents - essentiellement du XIXe siècle - permettent d’éclairer ce dernier épisode ainsi que l’histoire de la sépulture ducale, dont on vous a beaucoup parlé dans le dernier numéro de BingBang.
Archives départementales de la Côte-d’Or,
8 rue Jeannin, Dijon - Du lundi au vendredi, 8h30 à 17h.