Décembre 2008
N°37On a testé pour vous
Texte : J. Maisonnave
Photo : BingBang/Fotolia
Vin de fetes par excellence, le Champagne est en plein boum. mais il y a du mou dans la bulle…
Le champagne ne connaît pas la crise. Alors qu’en d’autres régions, et non des moindres, on rétrécit le vignoble, voilà qu’on requalifie en A.O.C. Champagne, pour répondre à la demande mondiale, des régions dont on n’aurait pas voulu il y a quarante ans. La profession s’y retrouve, tant mieux. Le client, lui, ne s’y retrouve pas toujours, pour quelques raisons que nous n’avons pas la place de développer ici.
Quant aux motifs de ce croissant engouement, ils peuvent tenir, de façon lapidaire, en ceci que le monde étant de plus en plus déterminé par l’image, celle du Champagne est telle qu’elle va jusqu’au symbole, associée depuis longtemps au succès, aux festivités, à l’euphorie circonstancielle. Ce n’est pas un hasard si la production a exceptionnellement augmenté au début de ce siècle.
On ne peut que s’en réjouir d’abondance, en se rappelant qu’à l’origine, il s’agissait d’un vin rouge très mal à l’aise avec ses fermentations, car trop septentrional… C’est le génie des hommes de savoir parfois transformer l’adversité en heureuse circonstance. Merci, Dom Pérignon.
Et puisque ce produit de luxe – tout de même – reste plus que jamais associé à la fête, voyons en cette fin d’année, où les ventes se trouvent décuplées, si le Champagne peut se démocratiser sans déroger à ses prestiges.
Pour ce faire, nous avons passé au banc d’essai douze Champagnes du commerce, et accessibles ; soit l’essentiel du marché. Sans trop anticiper sur la suite, disons que les résultats ne sont pas exactement enthousiasmants. Mais est ce bien l’essentiel pour un vin où, très souvent, c’est l’étiquette qui est prépondérante ?
[1] Sandrine PACE Sommelière (Restaurant Stéphane Derbord)
[2] Natacha REBSAMEN Sommelière ((Le Pinot Noir à Gevrey-Chambertin)
[3] Jean-Pierre BILLOUX Cuisinier
[4] Bruno CROUZAT Bar à Vins (Chez Bruno)
[5] Patrice GILLARD Sommelier (Restaurant Le Pré aux Clercs)
[6] Frédéric GUILLAND Consultant culinaire (ex « Les Crayères »)
[7] Adrien TIRELLI Caviste (La Carte des Vins)
[8] Jean MAISONNAVE Bing Bang
Le banc d’essai des Champagnes s’est déroulé le vendredi 21 novembre 2008 dans les salons du Restaurant le Pré aux Clercs, Dijon. Dix bouteilles de champagne brut – soit le gros du marché – auxquelles avaient été ajoutés deux intrus non désignés, un Crémant de Bourgogne, et une grande cuvée exceptionnelle. Dégustation, en tous points, anonyme et silencieuse après présentation du produit et étalonnage collectif des coefficients, soit, et compte tenu du caractère particulier de ce vin = 5 au visuel, 5 à l’olfaction, 10 à la bouche. En verres de dégustation classiques, format INAO.
Les vins avaient été achetés la veille, à tous les étages du marché : Discounters, Hypermarchés, Supermarchés, Commerces de proximité, Cavistes ; puis placés dans la même cave réfrigérée pour être débouchés et servis à la même température (10° environ).
Marque origine, Maison |
Commentaires |
Prix |
Note sur 100 |
Classement |
DOM PÉRIGNON Vintage 2000 |
Moët et Chandon à Epernay (NM). Belle robe, extrême vivacité du bullage, belle attaque, longueur moyenne, noisette et brioche. Classé 1er par 5 jurés sur 8. |
150 € |
95,5 |
1er |
J.P. BAUDOIN Cuvée sélection |
Propriétaire récoltant à Arrentières (10) Robe brillante, cordon fin avec vivacité moyenne. Nez classique de belle intensité. Bouche agréable et fraîche. |
16 € 50 |
90,5 |
2 |
VRANKEN Grande Tradition |
A Tours sur Marne (Reims, MA) Robe très jaune, bullage et cordon très vifs, nez et bouche partagent beaucoup les jurés. Type de champagne vineux, sur le fruit, trop lévuré pour certains. |
18 € 50 |
83 |
3 |
Comte de LAVIGNY |
Coopérative Régionale des Vins de Champagne (MA) – Reims. Partage beaucoup les jurés : manque de typicité pour les uns…Et c’est ce qu’aiment d’autres. Un vin, un peu trop acide, à évolution rapide. |
15 € 90 |
82,5 |
4 |
NICOLAS FEUILLATE Millésimé 2009 |
A Chouilly (Epernay) (Coopérative)Robe pâle, bulles fines, bouche fraîche, florale (pinot), trop pour certains qui estiment le dosage excessif. |
19 € 35 |
78,5 |
5 |
KELLER |
Martel et Cie, manipulant à Epernay. Robe colorée, bulles intenses, pas très fines : nez et bouche plutôt harmonieux. |
16 € |
77 |
6 |
Charles LAFITTE Grande Cuvée |
Négociant Manipulant à Tours sur Marne Produit classique, très vif, pénalisé par un nez à fermentation (« cul de poule », note un juré) et une bouche courte. |
16 € 26 |
75,5 |
7 |
BARON FUENTÉ |
A Charly sur Marne (NM). Agréable et bien dosé, produit unanimiste en tout, soit : sans grand caractère. |
16 € 95 |
75 |
8 |
André DELORME |
Blanc de Blancs, à Rully (71) Bullage moyen, irrégulier – nez correct, beurré – bouche correcte, mais sans grande élégance. |
9 € |
72,5 |
9ex |
RENE GUÉ Blanc de Blancs |
Propriétaire récoltant à Chouilly (51) près d’Epernay. Classique, nez peu identifiable, mais fin. Produit simple, droit mais trop dominé par l’acidité, pas « mûr ». |
16 € 50 |
75,56 |
9ex |
AUTRÉAU ROUALET Cuvée de Réserve 2003 |
Les vignobles champenois (NM) à Champillon (51). Correct, nez peu marqué, bouche marquée par le fruit, mais avancé et fugace. Manque de fraîcheur. |
14 € 49 |
64,5 |
10 |
PESCHEUX Père et Fils |
Propriétaire récoltant à Avirey Linget (10)Vin correct, mais gros défaut : éthers, poire blette – bouteille accidentée ? Défaut de bouchage ? |
17 € 60 |
50,5 |
11 |
D’un certain point de vue, c’est la dégustation idéale : le produit le plus cher arrive en tête et le moins cher, ou presque, arrive second…
Au-delà, ce qui apparaît d’abord, c’est que seuls quatre produits sur douze parviennent à la moyenne. Pour faire la fête, on pouvait espérer mieux, d’autant qu’il s’agit de vins tout de même assez onéreux, dont les prix les plus bas se situent autour de 12 € (nous avons volontairement visé un peu plus haut).
Ce qui apparaît ensuite, c’est que le supposé top du top (on aurait pu choisir Krug ou Bollinger, en moins emblématique), arrive avec seulement cinq points d’avance sur un petit Champagne de propriétaire, d’une région (l’Aube) de petite réputation, et coûtant pratiquement dix fois moins. C’est trop ! Relativisons toutefois : le dernier est aussi un propriétaire, issu du même secteur. Par ailleurs, on sait qu’un Dom Pérignon a besoin de plus de dix ans pour atteindre sa plénitude.
Pour le pittoresque, notons que le Crémant arrive à sa place, neuvième, ce qui confirme notre dernier banc d’essai sur les Crémants, où le Champagne « intrus » était arrivé placé, mais pas gagnant.
Que faut-il acheter, alors ? Eh bien si vous connaissez un bon propriétaire - il y a toujours des filières/copains, plus ou moins fiables – alors, n’hésitez pas. Mais soyez sûrs de vos sources ou de votre caviste ; lui seul peut vous aider en toutes circonstances. À défaut, choisissez carrément une grande marque, constante par définition, et allez là où la marge bénéficiaire est la plus faible. Non sans vous demander, avant tout, si vous aimez vraiment les bulles dans le vin…
La mode actuelle du Champagne à l’apéritif n’est pas sans intérêt. C’est un vin vif (éviter alors les demi-secs et les doux), qui ne fatigue pas et excite les papilles.
Au dessert, c’est possible, si on veut, mais il faut grandement se méfier de l’acidité. C’est le domaine des demi-secs (le doux heureusement est en voie de disparition).
Quant au chic repas « tout au Champagne », c’est à mon sens, sauf exception, une billevesée : il y a tant d’autres accords plus intéressants, même avec les poissons.
Pour finir, le Champagne se boit à présent dans des flûtes. La coupe ou coupette n’est plus de mode… Alors bon… D’après moi, ça peut se discuter, si on le boit rapidement.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Sachez consommer avec modération.